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 rozam blog

5. La Luxure

2 Juillet 2010 , Rédigé par rozam

 

V

 

 

 

 

 

Girodelle s’efforça au plus aimable des sourires en tendant ce verre de vin qu’apparemment elle n’était pas disposée à accepter.
Elle se contentait de le fixer d’un air extrêmement hostile, le plastron de son uniforme se soulevant par intermittences. Bouleversée n’était pas le terme. Troublée ? Cela aurait fort contenté sa mâle vanité…mais hélas ce n’était pas le cas non plus. Il était tout de même encore suffisamment lucide pour faire la différence entre un regard énamouré et le réel tourment qui se jouait dans la profondeur céleste, cette sorte de combat qu’elle paraissait livrer non aux circonstances mais à elle-même. Pourquoi était-elle là d’ailleurs, excellente question...
Avec toute la meilleure volonté du monde pour se convaincre du romantisme de la scène, il doutait beaucoup qu’un soudain retour de flammes le fasse apparaître comme le gendre idéal, traîné sitôt leurs ébats torrides chez le père Jarjayes pour commander petits gâteaux et chérubins qui lanceraient d’un air niais des pétales de fleurs sur lesquels chacun manquerait de se rompre le cou.
La chose paraissait claire pourtant : « faites-moi l’amour... ». Jusque là la signification coulait de source.
La suite par contre posait problème : « ...c’est un ordre. »
Un ordre ?
Soit...en bon soldat zélé il fallait obéir quoique la dimension stratégique lui échappât soudain : à moins d’une épouvantable guerre plongeant le pays entier dans un merdier apocalyptique durant les toutes prochaines minutes, il ne pouvait comprendre le sens de cette demande fort excitante.
Et à sa connaissance des dizaines de milliers de fantassins armés de canons ne pouvaient habituellement passer longtemps inaperçus, aussi l’éventualité qu’elle fut là pour passer quelques instants charmants avant de sombrer dans l’horreur des charniers pouvait être écartée sans grande marge d’erreur.

Alors pourquoi diable était-elle venue ici ? Pourquoi lui surtout ?
Il était peut-être définitivement stupide mais il lui avait semblé autrefois que ce Comte de Fersen attirait bien des regards, et que le jeune Colonel lui aussi tournait son visage plus que nécessaire vers les fenêtres du beau Capitaine lors des manoeuvres. Il se souvenait s’être traité de fou alors, songeant que la glace de son blond supérieur ne pouvait fondre pour ce bellâtre suédois.
Mais le doute avait été permis lorsqu’il les avait vu devenir amis, Fersen fréquentant de plus en plus assidûment le domaine des Jarjayes. Etrange...si ce genre de demande incongrue devait être, n’était-ce pas logique qu’elle fut faite à un homme que l’on ne considère comme pas trop antipathique ? Car sans lui manifester une haine inextinguible son Colonel l’avait pourtant toujours ignoré avec superbe. Conclusion, avec la meilleure volonté possible aucun prémisse d’un début de sentiment amoureux ne pouvait entrer dans sa venue.
Ce qui lui convenait fort bien.
Percer à jour les réelles motivations de son Colonel promettait d’être délicieusement stimulant...

Monsieur de Girodelle entama donc la conversation fort aimablement, comme l’excellent joueur d’échecs qu’il était en savourant la partie qui s’amorçait.

- « Colonel, je vous assure que sans être impérissable ce vin saura malgré tout se défendre pour flatter un palais aussi exercé que le vôtre. »
_ « Lieutenant ! Je vous prie d’ôter ce sourire grotesque de votre visage, de même que ce vin de ma vue. Je crois avoir été passablement clair sur mes intentions aussi exécutez-vous sans attendre, c’est un ordre ! »
- « Non. »
- « Comment ça « non » ! »
- « Non je ne renoncerai pas à vous offrir ce verre de vin, et non je ne vous ferai pas l’amour comme un vulgaire fantassin à même le tapis. Sans vouloir vous paraître excessivement prétentieux je ne suis pas n’importe quel homme Colonel, ni vous d’ailleurs. »
- « Vous moqueriez-vous ? »
- « Le moins du monde. Par contre je ne peux oublier que vous êtes mon supérieur et qu’à ce titre votre demande n’entre pas dans mes fonctions habituelles, vous en conviendrez. »
- « Alors vous refusez d’obéir ! »
- « Non. »
- « Quoi ?! »
- « Non je ne refuse pas cet ordre, mais il est également hors de question que je vous fasse l’amour à la hussarde. Désolé mais je ne conçois pas les choses ainsi. »
- « Quoi...que...mais je me fous de vos conceptions Girodelle !! Pour qui vous prenez-vous ! A qui croyez-vous parler ! En effet je suis votre supérieur. Et en tant que Colonel je vous ordonne de quittez sur le champ ce ton par trop insolent ! Je vous ai déjà battu en duel dois-je vous le rappeler. »
- « Puis-je savoir ce que cela vient faire dans la conversation ? »
- « Et...et bien cela fait que je pourrais fort bien recommencer, séance tenante ! »
- « Vous voulez dire que vous seriez prêt à m’embrocher si je n’accepte pas de servir d’étalon dans la minute qui suit ? »
- « Je...Oui ! »
- « Très bien. Alors allez-y. »
- « Hein ?!! »


Il venait de marquer un point mais ne lui laissa pas le temps de reprendre ses esprits. Il posa assez brutalement les verres et alla chercher sa propre épée qu’il posa près d’elle, sur la table, lui fit face crânement plus souriant que jamais.


- « Allez-y, je suis prêt. Qu’attendez-vous ? Prenez cette épée et transpercez-moi le coeur si cela vous chante mais je ne suis pas disposé à me laisser traiter en courtisane que l’on manipule d’un claquement de doigt. »


Il crut qu’elle allait l’assassiner pour de bon tant la fureur et la surprise ravageaient l’éclat azuré de ses yeux mais elle ne bougea pas, détail loin d’être anodin. Il avait ouvert une diagonale intéressante le moment était venu de placer ses pièces maîtresses sur l’échiquier…

- « Et bien ? J’attends. Ne me dites pas que vous hésitez, je serai déçu... tenez, je vais même vous aider ! »


D’un geste vif il ôta sans attendre sa longue robe de chambre de velours noir qu’il jeta au loin, dénoua le col de sa chemise et ouvrit à demi cette dernière pour exposer le haut de son torse.

- « Vous voyez, le coeur est juste ici. Je compte sur votre habileté pour faire les choses proprement et sans trop de douleur, un coup précis devrait suffire. A présent si vous voulez transformer cela en boucherie ne vous gênez pas, je ne puis vous en tenir rigueur évidemment puisque vous êtes mon supérieur. Décidez vous, mais décidez vous vite.»


Elle était hors d’elle mais ne disait mot ; le jeu venait de changer de donne, où l’assaillant n’était plus en position de force et la « victime » affirmait effrontément sa supériorité.
Avec un demi-sourire le Comte vit les claires prunelles descendre jusqu’à sa peau partiellement découverte, sur la structure musculaire qui tendait le tissu blanc de sa chemise du rythme profond et calme de sa respiration, contrastant si fort au souffle irrégulier soulevant l’uniforme. Et les yeux ne remontèrent pas, s’attardèrent sur ce que ses mains larges leur laissaient voir, plongeant sans réserve contre ce corps non pas délié comme le sien ni gracile. Mais puissant, carré, défini. Une morphologie d’homme, indubitablement, sans aucune ambiguïté possible.
Il vit cette certitude dans ce regard, matérialisée par une flamme encore infime sourdant sous la glace, une amorce de convoitise craquelant le masque de Colonel sous lequel la femme se cachait.
Il l’avait mené exactement où il le voulait, sur le terrain concret de sa demande : elle désirait connaître le plaisir physique, fort bien. Mais apparemment elle souhaitait l’isoler de toutes connotations charnelles. Se faire trousser contre un mur lui aurait fort bien convenu apparemment, sans que ne se devinent les corps, échangeant un baiser âcre de passion contenue à la rigueur.
Lui voulait plus.

Il voulait jouer avec elle et son désir, la voir perdre son armure.
Entendre sa voix se fendre de plaisir sous leurs peaux étroitement serrées. Il n’en était pas encore sûr mais à cet instant il y avait cette promesse, tapie tout au fond du froid Colonel de Jarjayes.
Il avait gagné la première manche.
Tout du moins le crut-il. Car il oubliait tout de même un point essentiel : celle qui était là n’était pas n’importe quelle femme...

* * *



André écoutait d’une oreille distraite le babillage de Grand-Mère qui s’activait aux fourneaux. Ce flot volubile avait l’avantage de noyer toute espèce de conversation possible, aussi il ne se privait pas de hocher la tête de temps à autres pour faire semblant de suivre des propos dont il se moquait bien. La trame de ses pensées était trop puissante pour s’embarrasser de futilités, et son coeur perpétuellement à vif éclipsait cette douceur même familière.
Sa conscience le torturait et pourtant il ne regrettait rien. Il avait joué avec cette gamine comme un fauve avec sa proie à la différence que le plaisir remplaçait la cruauté. Pourtant la source était la même.
La souffrance, encore et toujours, sous-tendant chacune de ses actions...
La vue de cette jeune chair ne l’avait même pas ému, à peine intéressé. Durant ces instants où la voix modulait sa jouissance c’est à elle qu’il pensait, uniquement à elle, postée à quelques pas dans cette pénombre qu’il connaissait si bien pour la côtoyer depuis son plus jeune âge.
Et sachant qu’elle ne fuyait pas l’épreuve qu’il lui imposait il l’avait faite durer, augmentant la subtilité de ses attouchements pour exposer de manière brutale à celle qu’il aimait la peine que l’on éprouve à désirer quelqu’un qui ne vous est pas destiné...

Oscar, mon cher amour, crois-tu vraiment que j’aurais lutté contre Fersen ? Penses-tu que j’aurai accepté d’être un obstacle au bonheur que tu te serais choisi s’il avait été partagé ? Mes yeux auraient hurlé ma souffrance mais aucun son ne serait sorti de ma gorge, jamais, s’il avait répondu à tes sentiments.
Sais-tu que cet amour en arrive à me faire peur parfois, car tu vois grâce à lui je peux tout accepter, tout supporter jusqu’à éprouver une joie sans égale de te savoir heureuse. Sans moi...
Oui, je me serais retiré dans cette ombre amie que ta lumière a tissé, si tu me l’avais demandé j’aurais été jusqu’à favoriser votre liaison pour que ton père ne l’apprenne.
Tout ma chère Oscar, tout et plus encore car pour toi je suis capable de l’impossible. J’aurais dû haïr cet homme, pour t’avoir fait souffrir ainsi mais j’en suis incapable.

Je ne lui en veux même pas...Car j’aime Fersen, Oscar, comme un frère, comme mon double en quelque sorte. Comme moi il ne connait que trop la morsure de l’aube qui éloigne nos rêves de l’être aimé, la feinte indifférence qui se doit de glisser sur un visage tandis que les corps font mal de ne pouvoir se nourrir l’un de l’autre.
Je l’aime oui, cet homme au fond si semblable à moi malgré ses titres, sa fortune ; comme moi il a vu trop haut, perdu dans un amour inaccessible et trop grand pour nos vies de misères.
Frères d’infortune et de misère, quel beau titre pour le drame de nos vies, n’est-ce pas !
Ces mots chatoyants cachant de fades amertumes, ces quelques syllabes qui résonnent parmi les ruines de nos lâchetés.
Car je l’avoue Oscar, j’ai été lâche...
J’aurai dû voir plus tôt ce mal qui te rongeait le coeur, et lorsque j’en ai eu conscience je me suis tu, j’ai refusé de te parler pour ne pas perdre le son de ta voix justement, préférant ta colère à ton indifférence.
Mais à présent, à présent mon amour j’ai tous les courages.
Je suis certain que cette fois-ci je vais parvenir à te faire comprendre l’essentiel : te montrer enfin celle que tu es. Tu es ardente Oscar, pas cette poupée de chiffon que ton désespoir te faisait devenir.
Tu es de feu, insaisissable et libre, tour à tour blessante ou bienfaisante par la vertu d’un simple sourire.
Peu importe la manière dont tu découvriras cette évidence, je t’ai fait du mal mais je ne le regrette pas. Je vais t’en faire encore mais tout cela n’est pas grave. Cette fois-ci je sais contre qui tu te défends, l’ennemi n’est plus invisible.

Je suis cet ennemi.
Et je m’offre sans hésiter en sacrifice.

Déchire-moi, dévore-moi Oscar, plante tes crocs dans ma chair puisque je le veux.
Et lorsque tu seras lasse de te repaître de ta propre douleur et de ta colère, lorsque tu seras enfin devenue consciente de ta nature profonde ; lorsque tu seras face à moi, pantelante, épuisée de haine ou de mépris, je te ferai goûter à la douce violence de mon amour.
Et tu feras ton choix. Bientôt.



Sur un soupir de lassitude le jeune homme se leva et sans un mot alla embrasser la joue fripée de son aïeule. Joue qui rosit quelque peu malgré un froncement de sourcil accompagnant la haute silhouette.

- « Mais...où va-t-il à présent ce tendre vaurien. Et ma petite Oscar qui est sortie comme une tornade tout à l’heure, qui n’est toujours pas rentrée...et qui ne le fera pas telle que je la connais. Ils se sont encore disputés...Tisane de tisane mais quelle pitié, que Dieu leur vienne en aide... »

Elle se signa puis écrasa une larme : trop tard, la petite goutte salée tomba dans le potage qu’elle préparait.



* * *



Victor-Clément de Girodelle reprit sans hâte le verre déposé et le tendit à la splendide statue qui lui faisait face. Elle ne bougeait pas, le fusillait littéralement sur place. Il resta lui aussi parfaitement stoïque, sa stratégie trouvant enfin sa récompense quand les doigts nerveux enserrèrent le pied de cristal. Il sourit lorsqu’il la vit boire d’un trait, sans l’attendre évidemment. Avec une nonchalance étudiée, il alla ranger l’épée devenue inutile puis se dirigea vers le meuble à alcools pour chercher la bouteille.

- « Je suis ravi que vous ayez renoncé à me vider de mon sang Colonel. Cela m’aurait quelque peu contrarié je l’avoue : il y a là des tapis qui me viennent de ma famille et auxquels je tiens. Cela mérite que nous trinquions de nouveau ne croyez-vous pas ? Mais prenez ce siège je vous en prie. »

En réalité, son plus beau nectar restait ces secondes égrainées lentement par le simple fait de savourer la présence derrière lui, ce tout petit surplus de tension qui traversait la pièce rien qu’à bouger ainsi, sans se regarder. Non, il avait tort car désormais elle ne le perdait pas des yeux il le devinait. Il pouvait presque percevoir la caresse azur sur sa nuque, et espérait bien qu’elle descendrait plus bas. De fait il prit son temps, joua de sa silhouette en homme rompu à la séduction. Il plaisait aux femmes, pourquoi s’en cacher ? Il se savait beau et pas assez hypocrite pour feindre l’ignorer.
Il se retourna et vit qu’en effet elle ne cessait de l’observer, de manière fort peu engageante cependant. Mais elle paraissait accepter les règles de ce jeu étrange qui s’établissait entre eux, il devait se contenter de cela pour l’instant.
Il réitéra sa proposition de s’asseoir et loin d’obtempérer elle s’approcha brusquement de l’âtre, regarda d’un air terrible les myriades enflammées la nimbant d’une lumière s’accordant si bien à sa chevelure d’or.
Quoique magnifique son visage était tourmenté, elle observait le feu comme pour y chercher d’invisibles réponses et Girodelle soupira discrètement : au fond il avait deviné juste, dès le début.

Elle n’était pas là pour lui. Elle était là...malgré elle.

Depuis qu’elle était entrée, au moment même où elle avait prononcé cette incroyable phrase il avait immédiatement compris qu’elle n’était pas pleinement consciente de l’énormité de sa demande.
Cela ne cadrait pas avec le Colonel de Jarjayes qu’il connaissait, ce jeune insensible qu’elle se devait de composer chaque jour. Au contraire, les termes crus de sa demande prouvaient l’usage d’une arme dont elle ne connaissait absolument pas le maniement. Lui, par contre, était excellent professeur.

- « Encore un peu de vin, Colonel ? Pardonnez-moi d’insister mais nous n’avons pas encore trinqué à votre impérissable venue, je me dois de réparer cet oubli. »

Il servait négligemment le liquide, releva un bref instant les yeux...et suspendit son geste, faillit même tout lâcher dans la seconde. Figé non pas sous la contemplation d’un visage mais par des doigts blancs posés sur les boutons d’un col d’officier...Totalement indifférente à ce qu’il était en train de dire Oscar dégageait une à une les attaches de métal de son uniforme, le plus naturellement du monde.
Bon sang...mais se rend t-elle seulement compte de ce qu’elle fait ? De...des...de ses mouvements, de la lenteur avec laquelle s...Et moi comme un imbécile qui l’ai toujours trouvé androgyne...alors que ce qu’elle fait est la chose la plus érotique que j’ai jamais vu ! Du calme Victor, du calme....

La bouche du jeune homme ne tarda pas à s’entrouvrir au rythme du vêtement, voyant le cou perdre sa rigidité habituelle, les épaules se dégager, la ligne des reins se révéler sous la raideur qu’imprimait habituellement la veste militaire. Ainsi Oscar c’était cela, un secret jalousement défendu par une simple prison de tissu, une promesse de beauté qu’étouffait le carcan d’un grade nobiliaire.
Un bref instant il hésita, se retint pour se précipiter vers elle et violenter cette veste hideuse cause de tant de gâchis. L’arracher d’elle et prendre ce corps souple dans ses bras, poser sa bouche à même la dentelle de la chemise sur la peau qui ne se révélait pas encore...du moins le crut-il.

Il eut beau s’efforcer de conserver son imperturbable désinvolture, lorsqu’elle jeta la veste sur un fauteuil et repris sa contemplation assidue d’un air plus indomptable que le brasier lui-même, il ne put que déglutir avec peine devant l’incroyable vision. Son pouls s’accéléra, léger et résolu.
La Dame met échec au roi...
L’avait-elle fait sciemment ? Elle n’avait pas pris soin de nouer son col avant de venir, et les pans se laissaient librement couler sur sa chemise échancrant profondément le vêtement de lin blanc. Un bouillonné de dentelles ornait les rebords, servant d’écrin à la gorge ainsi libre.
Essayant d’avaler enfin convenablement sa salive Girodelle sentit son fantasme principal le traverser de manière fulgurante. Quelque chose l’avait toujours poussé à la respecter en tant que Colonel, jamais sur son honneur il n’avait eu de pensées trop envahissantes pendant le passage en revue des troupes à ses côtés.
Seul dans ses quartiers la nuit venue, par contre, là c’était autre chose...et il devait bien admettre qu’une idée en particulier lui faisait bouillir les sangs. Celle d’imaginer que sous l’uniforme elle était complètement nue. Pure fantaisie dont il se culpabilisait parfois - très rarement - puisque garantir l’intégrité de sa nature la poussait à martyriser sa poitrine sous une multitude de bandages infâmes, il le savait. Seulement à cette seconde elle ne les portait visiblement pas.
Très visiblement même.

Nichés dans cet amas d’élégance froissée se laissait deviner la courbe tendre de deux seins en tous points magnifiques que la dentelle dévoilait effrontément tout en les cachant, clairement révélés tout de même par le feu comme une suprême tentation. Toute la féminité d’Oscar était concentrée là en cet instant, son ambiguïté terrassée d’un coup par l’insolence de cette nudité encore chaste. Une femme portant des vêtements d’homme, certes. Mais une femme. Sans le moindre doute.
Tudieu, elle a réellement décidé de me rendre fou... Ressaisis-toi que diable, ne vas pas trop vite ! Fais durer cette délicieuse partie... M...mais...ah bon sang non ! Je ne peux pas voir une telle chose sans réagir.

Renonçant à lui offrir ce verre et avec toute la mesure que lui permit sa bonne éducation aristocrate il s’approcha d’elle, admira même sa remarquable maîtrise à s’empêcher d’agripper les épaules pour la faire pivoter et sans plus de discours l’embrasser à en perdre le souffle. Ce qu’il faillit faire, mais une toute petite voix angélique ou démoniaque lui soufflait que dans la lenteur de sa manoeuvre résidait sa victoire.
Attendrir un militaire n’est pas chose facile, encore plus quand il est aussi ravissant et absorbé par la contemplation d’un feu de cheminée.
Il se rendit également compte qu’il n’avait pas parlé depuis trop longtemps mais la vue de telles promesses conjuguée à la réalité de ses rêves torrides n’était pas fait pour cohabiter en harmonie : il dut se racler la gorge.

- « Je ne cr...hum...je ne crois pas que cela soit une si mauvaise idée après tout. »

Elle se retourna d’un bloc, surprise elle aussi par ce timbre brisant net le fil de ses songeries qui contrairement aux siennes n’avaient pas l’air si plaisantes. Surprise aussitôt bousculée par la contrariété de le découvrir soudain beaucoup plus près qu’elle ne l’aurait cru. Elle n’était décidément pas facile à cerner...voulant d’un côté connaître les plaisirs de la chair et de l’autre mépriser celui qui les lui donnerait !
Unique, vraiment.
En tout cas elle le foudroya sur place et l’apostropha, d’une voix loin d’être en accord à la violence assassine de ses yeux. Elle était…troublée. Intéressant...il se retint de sourire mais il semblait bien que sa propre chemise, largement ouverte, semblait produire un certain effet à son tour.
Echec à la Dame...

- « Qu...quoi ? Une...mauvaise idée je...mais de quoi parlez-vous ! »
- « Que j’accepte. »
- « Pa...pardon ? Accepter quoi. »
- « De vous servir d’étalon, là, maintenant, tout de suite, sans plus de fioritures inutiles. »
- « Hein...je... »
- « N’est-ce pas ce que vous vouliez ? Et bien je suis d’accord, je suis prêt à vous faire l’amour séance tenante... »
- « Que...vo... »
- « ...à combler le moindre de vos désirs... »
- « Mais j.... »
- « ...à me soumettre à vos envies. »
- « Je... »
- « Sans poser de questions. »
- « ..................... »
- « Alors, vous ne dites rien ? Ne me dites pas que là encore vous hésitez. »


Il se força à ne pas baisser les yeux jusqu’à sa gorge tentatrice mais fut satisfait de voir les prunelles orageuses vaciller de stupeur. D’un geste intentionnellement lent, sans cesser de l’observer, il poursuivit ce qu’il avait entreprit un peu plus tôt : il ouvrit davantage sa chemise puis la dégagea de sa ceinture, la fit passer par dessus tête en reprenant aussitôt le contact avec les yeux clairs. Une onde extrêmement agréable lui parcourut l’échine à la vue de son teint légèrement avivé, preuve que la manoeuvre était loin d’être mauvaise.
Désormais, sa carrure allait remplacer la désinvolture de ses mots charmeurs pour la déstabiliser.
Il laissa tomber le tissu au hasard et la regarda l’examiner avec tant de soins qu’elle crispait légèrement ses mâchoires, sourcils froncés. Crispée pour ne pas faiblir et perdre le contrôle d’elle-même ni ses airs féroces. Mais la cuirasse devenait bien fragile pour contenir son émotion.
Il avança, de quelques pas.
Tirée brutalement de sa contemplation elle fut surprise, ramena sa colère à son visage. Lui s’obstinait à ne voir que le courroux de son regard mais le souffle inégal laissait deviner tant de délices sous la chemise de dentelles, qu’il sentit autre chose que du plaisir au creux de son ventre à se contenir ainsi. De la douleur...Et c’était encore plus délicieux.
Il reprit la parole.

- « Et bien Colonel de Jarjayes, que décidez-vous ? Je m’offre à vous comme vous le désiriez et vous me regardez tel votre pire ennemi. Alors que désormais vous pouvez disposer de moi, entièrement...tout à votre guise... »

Elle buta soudain contre le marbre de la cheminée, adossée au brasier sans pouvoir décemment s’enfuir d’une situation qu’elle avait provoqué, si fière au contraire dans sa volonté de paraître dure et froide comme à son habitude.
Il voyait bien que cela n’était plus vrai, à cause de l’accélération de sa respiration, de la toute petite goutte de sueur perlant sur sa tempe.
Et cet air vraiment méchant qu’elle opposa quand il avança encore. Bon Dieu Oscar vous êtes splendide, vous allez me rendre fou à me regarder comme ça...

Il baissa le ton de sa voix déjà naturellement assourdie par les ondes assaillant son bas-ventre.

- « Comme vous aviez raison... : pourquoi s’embarrasser de préliminaires ridicules alors que mon corps est tout à vous...Vous êtes mon supérieur, je suis à vos ordres c’est entendu. Que voulez-vous que je fasse... que je vous fasse, dites-le moi... »

Incroyable comme la cuirasse se lézardait quand il la poussait dans ses retranchements. Elle paraissait le rejeter en bloc pourtant un éclat particulier faisait vivre le ciel tumultueux, ce tout premier éclat qu’elle avait eu en entrant dans ses quartiers.
Une envie.
Même si elle paraissait en souffrir énormément.
Et lui se postait à cette frontière, suspendu à ce qu’elle allait décider pour elle-même, dans ce jeu subtil qu’il avait engagé.
Il connaissait la tentation, trop intimement pour ne pas savoir en jouer comme elle se jouait de lui. Par paresse ou négligence il n’avait jamais forcé le destin envers son Colonel, mais à présent c’était différent. Au fond, même s’il donnait l’illusion de mener les coups sur l’échiquier de leur affrontement, c’est elle qui continuait de le manipuler. Il faisait précisément ce qu’elle souhaitait, il en était persuadé.


Il plongea sans réserve dans la fureur céleste de ces prunelles liquides levées sur lui, offrit en réponse son sourire le plus irrésistible. Il avança, vint plus près, et cette fois ne se priva plus de contempler ce que la quasi-totalité des courtisans de Versailles rêvaient de voir : la poitrine du fier Colonel de Jarjayes. Hommes ou femmes confondus, il avait face à lui le fantasme incarné des débauchés du moment qui soupiraient en vain depuis tant d’années.
Splendides…réellement splendides…Deux seins fermes délicieux de sensualité, dont les pointes énervés de désir soulevaient la finesse translucide du tissu de lin. Et la douceur d’une peau de lait dont il savoura l’idée d’en embrasser chaque grain de beauté.
Dieu…mettre dans sa bouche ces petits fruits couleur de rosée, les humecter, les faire rougir de plaisir et sentir contre sa bouche s’écraser la souple rondeur de son sein…Il remonta jusqu’au visage pour détailler ces lèvres qu’il eut plaisir à découvrir entrouvertes. Sa voix se fit encore plus séductrice.
-
« Sans vouloir vous paraître excessivement alarmiste je crois que vous n’allez pas tarder à vous embraser à vous tenir si près du feu... »


Elle s’acharnait à masquer le léger halètement qui la gagna à l’écoute du double sens de sa phrase. Il était si proche, presque à la frôler…mais c’était bel et bien toujours le Colonel qui se tenait là devant lui ; il croyait l’avoir définitivement déstabilisée, troublée, pourtant ce n’était pas que du désir qui la brûlait, elle paraissait aux prises avec d’invisibles démons contre lesquels il ne faisait pas le poids...Qu’est-ce que tout cela voulait dire…Incapable de ne plus pouvoir se contenir il levait déjà la main pour écarter cette dentelle impudente lorsqu’il capta son regard.
Planté bien droit dans le sien, comme la banderille dans la chair sanguinolente du taureau.

- « Déshabillez-vous. »

Echec au Roi.
Ces mots se déversèrent en lui comme un alcool fort, vrillant un peu plus ses reins. Stimulé par le piment de la situation il sentit son sexe pousser la barrière des sous-vêtements, savourant chaque onde de délice que lui procurait son sang. S’il s’attendait à cela…Un ordre, aussi brutal qu’à son arrivée. Elle se dégagea presque violemment de ce feu mais de lui surtout, d’une proximité qu’il crut deviner lui être insupportable et pourtant elle se retourna aussitôt après quelques pas, le fixa avec une redoutable acuité. Un ordre…il devait s’exécuter sans doute.
Diable, quelle partie excitante tout de même, bien curieuse dans son déroulement mais qu’il aurait eu bien tort de refuser…
Lorsque ses mains se dirigèrent vers la ceinture de son vêtement elle ne perdit rien des mouvements qui peu à peu dilatèrent sa pupille. Elle tenait son regard immobile et dur, attirée par ce qu’il faisait mais semblant prête à fuir la seconde suivante. Etrange…

Alors que ses mains s’activaient sans hâte un doute s’insinua sourdement dans l’esprit du jeune homme...Ce trouble, cet air rigide, sa curiosité dévorante aussi...et sa souffrance. Tout semblait exprimer que jamais elle ne s’était trouvée dans pareille situation. Comme si…comme s’il était le premier homme qu’elle allait voir ainsi. Girodelle n’avait pas beaucoup de principes il le reconnaissait volontiers mais là quelque chose lui échappait, et il ne fut pas très sûr de trouver cela plaisant. Il perdit son sourire pour observer le fin visage et toutes les émotions qui s’y jouaient.
Etait-ce l’explication...cela paraissait si évident brusquement.
Allait-il être le premier… Absurde ! Elle était vierge et voulait se donner à lui ? Complètement insensé ! Pourtant, ce tumulte vibrant dans chacun de ses souffles, cette envie qui la dévorait, pourquoi...
Il devait en avoir le cœur net.

Comme tous bons joueurs d’échecs voulant la victoire il modula immédiatement sa stratégie : ses gestes se firent encore plus sensuels pour décacheter les premiers boutons. Elle mordit ses lèvres d’envie lorsqu’il ouvrit son vêtement et dégagea le tracé viril de ses hanches, les joues d’albâtre résolument enflammées de voir ses mains continuer leur progression jusqu’aux dernières attaches.
Dès lors il fut contraint d’effleurer sa verge qui commençait à prendre des dimensions intéressantes, et savoura pleinement l’excitation de ce regard qui ne se gênait vraiment plus pour dévorer ce spectacle qu’il offrait, prête à voir jaillir sa virilité à tout instant. Mais elle fut déçue, et il goûta avec beaucoup de satisfaction l’air contrarié qu’elle prit en voyant le sous-vêtement qu’il portait encore.
Le petit jeu arrivait à son terme et il comptait bien la mettre échec et mat en quelques coups. Il cessa tout mouvement, ce qui la contraignit à ramener ses airs furieux jusqu’à son visage.


Elle se troubla en constatant qu’il la détaillait si soigneusement à son tour; elle parla vite, nettement moins assurée.

- « Et...et alors, pourquoi vous êtes-vous arrêté. Je vous ai donné un ordre, continuez ! »
- « Non. »
- « Qu...quoi ? Vous n’allez pas recommencer à...de...Je vous ordonne de poursuivre, déshabillez-vous ! »
- « Non. »
- « Lieutenant ! Si v... »
- « Taisez-vous. Maintenant c’est vous qui allez m’écouter. Vous me désirez autant que moi je vous désire, inutile de le nier. Aucun autre sentiment n’entre en jeu et cela me convient parfaitement. Alors arrêtons ce petit jeu du chat et de la souris : ou vous vous décidez à approcher et continuez vous même cet effeuillage, ou c’est moi qui vient pour vous déshabiller sans sommation. »
- « Comment osez-vous, espèce de... »
- « Ne gaspillez pas votre énergie. Je ne suis pas un homme recommandable et vous le savez très bien. Je suis un libertin Oscar, j’aime les femmes, toutes les femmes et je ne m’en cache pas. Je ne m’embarrasse pas de moral, et n’ai aucun scrupule à rendre les maris cocus. Pour une raison que je ne tiens pas à connaître vous êtes venue ici chercher des plaisirs sans lendemain, soit, je m’exécute. Mais je ne le ferais pas sans votre concours car au risque de vous paraître dépourvu de la moindre imagination, je trouve que l’amour devient nettement plus intéressant à deux que pratiqué en solitaire. A présent je peux me lancer dans l’apologie des nombres impairs et ses multiples combinaisons, théorèmes que je goûte fort je l’admets mais en ce cas je crains de vous choquer.
Et dégoûter de l’amour une femme aussi belle que vous serait réellement un crime impardonnable.
Vous souhaitez des émotions fortes et je suis prêt à vous en donner néanmoins je vous laisse le choix : ou bien vous venez ici vous assurer de l’effet que vous produisez sur mon entrejambe, ou bien vous rétablissez une inégalité flagrante en retirant à votre tour votre splendide chemise. Même si je préférerais le faire moi-même. »



Il avait donc raison… : elle jouait en effet avec une arme qu’elle ne maîtrisait absolument pas, jusqu’à s’en blesser elle-même selon toute apparence.
Cette angoisse, de devoir à son tour se mettre nue face à lui… Il y avait...il y avait comme une pureté outragée dans ses yeux, presque de l’affolement, même si elle l’habillait de bravade.
Et ce regard, Girodelle le détestait chez une femme. Non. Uniquement chez elle.
Malgré son désir évident un signal d’alarme résonna dans son cerveau à la vue de cette imperceptible expression d’animal traqué, en un sentiment très confus remplaçant aussitôt l’envie qu’il avait d’elle. Certes il aimait le risque en amour, comme un poison subtilement pervers se superposant à la joie de posséder un corps. Séduire, faire capituler une conquête faussement réticente à ses charmes était un jeu pour lui. Mais la prendre de force…Jamais. Un élément lui échappait définitivement chez elle : elle mourrait d’envie de le voir nu apparemment, pourtant cet air subtilement terrifié disait le contraire ; il fallait qu’il comprenne...
La provoquer, c’était la seule solution. Il lança assez sèchement :

- « Et bien mon Colonel, allez-vous enfin vous décider ? Je suis las à présent d’être à demi nu face à vous, il me semble qu’il est temps pour vous de faire de même ne croyez-vous pas ? Maintenant vous savez où se trouve la porte évidemment, et si ce marché ne vous semble pas équitable vous pouvez sortir sans que votre honneur eut à souffrir de mes indiscrétions. Personne ne saura rien de votre instant de faiblesse. »

Elle se redressa, piquée au vif par sa dernière remarque et le terrassa de son mépris.

- « Ma faiblesse ? Ma faiblesse dites-vous ? Ma parole vous divaguez Girodelle ! Alors pour vous quand un homme couche avec tout Versailles c’est un libertin, mais quand il s’agit d’une femme elle n’agit que par « faiblesse » c’est ça ? »
- « Ah bon, parce que vous avez l’intention de coucher avec tout Versailles à présent ? Intéressant. »
- « Taisez-vous ! Je n’ai que faire de vos remarques stupides. »
- « Apparemment je n’en ai pas le monopole. »
- « Que...que voulez-vous dire ! »
- « Que la décadence vous va aussi mal qu’à moi la vertu. Avouez que vous n’avez jamais eu l’intention de faire l’amour avec moi en venant ici. Avouez-le ! »
- « Que...je... »
- « Votre rougeur vous trahit. Vous n’avez jamais connu d’hommes n’est-ce pas Oscar ? »


Elle voulut répliquer mais étouffait de colère, mortifiée. Il était sûr d’avoir vu juste…jusqu’à ce qu’elle se lance soudain vers lui, mue par une pulsion imprévisible. Avant d’avoir pu esquisser le moindre geste il sentit une main désagréablement brutale venir contre son pantalon et se saisir sans ménagement des parties intimes de son anatomie. Avec trop de vigueur elle pressa au hasard ses testicules dans sa paume pour les malaxer sauvagement.
Il s’écarta furieusement sur un gémissement douloureux, gagné par ce qu’il n’aurait jamais cru possible : du dégoût.
- « Bon Dieu mais qu’est-ce que vous faite, vous avez perdu la tête ? Qu’est-ce qui vous prend ! »

Indifférente elle se rua de nouveau sur lui pour reprendre ce détestable massage. Qu’il repoussa, non sans avoir eut le temps de sentir une nouvelle décharge de violent plaisir tendre son membre. Elle lui jeta d’un air mauvais :


- « Cela ne vous plait pas ? Vous, un libertin, n’est-ce pas comme cela que vous vous y prenez avec vos maîtresses? »
- « Quoi ? Mais vous êtes ivre ma parole ! »
- « Répétez ça et je vous casse la figure ! Votre insolence dépasse les bornes, je ne vous permets pas de me parler de cette façon Lieutenant de Girodelle ! Je n’ai que faire de vous, je me moque de vos remarques grotesques. Je suis libre vous entendez, libre ! Comme un homme ! Et j’entends le rester en ne laissant dicter ma conduite par personne, vous moins que quiconque peut-être ! Vous ne voulez pas obéir ? Fort bien, je sais ce qui me reste à faire. Les lieux de plaisir ne manquent pas au Palais-Royal, je n’aurais aucun mal à trouver ce que je cherche sans devoir subir vos petits caprices de séduction lamentable. Je vous choque à mon tour ? Tant pis ! Je vous déçois, peu importe ! Vous ne me connaissez pas Girodelle, vous ne savez rien de moi aussi je vous interdis de me juger : si je veux coucher avec le tout Versailles je le ferai en effet, sans devoir me justifier ! »


Ivre, elle l’était oui mais de rage, lorsqu’elle voulut se précipiter sur ces derniers mots vers la porte. Il la retint par l’épaule mais elle se retourna et lui envoya aussitôt un coup de poing à la base du menton pour lui faire lâcher prise, avec succès, le jeune homme crispant sa main fortement tenté à son tour de lui envoyer une riposte bien sentie. Il réussit à se contenir in extremis mais se rua de nouveau sur elle pour l’empêcher de saisir la poignée de la porte.
Cette fois sur ses gardes il évita de justesse un autre direct destiné à son arcade sourcilière et parvint tant bien que mal à se saisir de ses mains durement serrées. Il scruta ce visage tourmenté, inexplicablement hors de lui à son tour il hurla son incompréhension.

- « Mais par tous les diables vous avez complètement perdu l’esprit ma parole ! Je peux savoir ce qui vous arrive ? Et vous ne sortirez pas d’ici sans m’avoir donné une explication valable ! Qu’est-ce qui vous prend de vous conduire subitement comme...comme... »

Il la plaqua violemment contre le mur, serra ses mâchoires et l’étau de son emprise pour tenter de maîtriser des soubresauts d’une incroyable intensité ; et retenir surtout un mot détestable.
Elle le défia, déchaînée de se voir impuissante à se défendre.

- « Comme quoi ? Comme quoi Girodelle ? Finissez votre phrase ! »
- « Arrêtez Oscar. »
- « Je vous interdis de m’appeler Oscar et de me donner des ordres ! Et dites-moi comment je me conduis, cela risque d’être risible ! »
- « Vous voulez savoir ? Vous vous conduisez comme une chienne en chaleur, voilà la vérité ! Et vous êtes pitoyable, ridicule dans ce rôle qui n’est pas digne de vous ! »
- « Pourquoi ? Vous allez me donner des leçons de morale à présent, vous, un « libertin » comme vous êtes si fier de le clamer sur tous les toits ! »


Elle fit une nouvelle tentative pour se dégager mais il assura sa prise, méchamment, lui fit mal exprès tant il se sentait bouillir d’une inexplicable colère à la voir agir ainsi.

- « Des leçons de morale, et pourquoi pas ! Mais bon sang qu’est-ce que vous croyez, que faire l’amour est la chose vulgaire et bestiale que vous semblez réclamer ? Que vous allez trouver votre bonheur dans les bordels du Palais-Royal ? Vous ne vous rendez même pas compte de ce que vous faites ! »
- « Ah non ? Et de cela non plus ? »

Sans transition elle pressa brutalement son bassin contre ses hanches à demi dénudées. Une violente décharge de plaisir le submergea quand elle s’enfouit contre son érection douloureuse protégée par la finesse de son sous-vêtement de lin. C’était sauvage, impérieux, un besoin sexuel à l’état brut.
- « Arrêtez ça Oscar ! Immédiatement ! »

Elle accentua sa pression et creusa ses reins pour s’imbriquer encore plus intimement, se mit à onduler de manière impérieuse. Girodelle sentit son corps s’embraser dans la seconde même si son cerveau lui hurla que tout cela n’était pas normal. Avec énormément d’efforts, il réussit à écouter ce cri d’alarme et la repoussa de tout son poids pour l’éloigner de lui. Il pesa sur ses poignets jusqu’à la faire gémir de douleur mais tint bon.

- « Vous n’êtes pas vous-même, bon Dieu ! Je ne sais pas ce qui vous arrive mais il est hors de question que je vous laisse faire ! »
- « Faquin, et de quel droit ! »
- « Parce que... »
- « Parce que quoi ! »
- « Parce que je vous désire Oscar, parce que je suis un sale type qui depuis tout à l’heure joue avec vous voilà pourquoi ! Parce que je brûle de vous faire l’amour contre ce mur même si je ne suis pas digne de ce que vous venez offrir, parce que je refuse que vous vous sacrifiiez dans un lit de hasard, voilà pourquoi ! Vous êtes vierge Oscar n’est-ce pas. Vous êtes vierge ! »


Comme une vague s’écrasant sur le rempart d’une falaise la fureur d’Oscar tomba d’un coup, se brisa net sur ces derniers mots. Elle relâcha sa physionomie et ses efforts en une fraction de seconde, toute sa douleur se massant dans l’azur de ses yeux pour le brûler de stupéfaction et de colère. Il ne desserra pas son étreinte et poursuivit durement.

- « C’est cela, bien sûr. Ma parole vous êtes inconsciente...Quand vous parlez de ces lieux de plaisir qui pullulent au Palais-Royal, savez-vous bien ce que vous y trouverez ? Croyez-vous qu’il est si facile de voir crûment le visage du vice ? Vous ne savez donc pas que ce n’est pas notre corps seulement que nous y offrons mais notre âme, et que jamais vous ne pourrez vous remettre de ce viol moral. Quand à moi, certes oui je peux vous donner ce plaisir charnel que vous avez cru vouloir venir chercher ici. Et je ne le ferai pas. »


Il la lâcha soudain comme si le simple contact de ses poignets consumait ses paumes, se détourna.
- « Je ne le ferai pas pour la simple et bonne raison que je ne vous aime pas Oscar, que je n’aime pas non plus cette violence et ce désespoir qui semblent vous torturer. Même si vous affirmez le contraire vous n’êtes pas prête à offrir les trésors que recèle votre corps, et vous méritez mieux qu’un jouisseur comme moi pour le faire. Pourtant par tous les diables de l’enfer j’ai rêvé être cet homme, ça oui, mais seulement dans mes fantasmes où je jure vous avoir prise de toutes les manières possibles. Vous voyez, je ne respecte rien et je m’en vante en effet.»


De l’avoir maintenue paraissait lui avoir fait prendre tous ses démons intérieurs car à présent le tourment était bel et bien en lui. Il ne cherchait même plus à comprendre quoi que ce soit de cette étrange nuit, il se contenta de reboutonner son pantalon, mourrant pourtant d’envie de faire le contraire.

- « A présent allez-vous en, Colonel de Jarjayes. Rentrez chez vous car dans quelques heures nous avons les troupes de Sa Majesté à passer en revue. Allez prendre du repos, nous en avons besoin tous les deux je crois. Partez d’ici et ne revenez jamais, je vous le demande comme une faveur. Par contre, si j’apprends ces jours prochains que vous avez osé mettre les pieds dans un des lupanars du Palais-Royal, malgré tout le respect que je vous dois je jure sur le peu d’honneur que je conserve de venir personnellement vous casser la figure.
D’homme à homme. »


Il se força à s’éloigner d’elle et alla cueillir la veste d’officier, lui tendit l’instant d’après sans plus vouloir relever les yeux.
Il resta un moment, bras tendu, quand un bruit improbable troubla le silence. Son poing se crispa sur le tissu et retomba, vaincu.
Il abandonna le vêtement dans un soupir, et lentement alla mettre un genou à terre près de la forme qui s’était laissée glisser contre le mur, recroquevillée sur ses pleurs. Un regard noyé le questionna en silence. Il secoua la tête, perdu, et haussa les épaules d’un air fataliste.

- « Je dois être fou moi aussi vous savez : une des plus belles femmes que je connaisse vient me demander de lui donner du plaisir et en réponse je la menace de casser son ravissant visage à coup de poings. Décidément Oscar, vous n’aurez jamais un destin conventionnel. Allons, relevez-vous mon Colonel, cela n’est pas digne de vous de rester sur le parquet. »


Il allait l’aider quand elle se ploya contre lui, échoua sur son épaule un désespoir dont il n’avait décidément pas soupçonné l’ampleur. La carapace était solide, car la chair très tendre au-delà à n’en pas douter. Et pourtant il ne savait comment y répondre, remarquablement gauche à déchiffrer le fond de cette âme blessée.

- « Je suis désolée, j’ai été folle...j’ai tellement honte. »

Et bien...elle devait être réellement malheureuse car pour la toute première fois de sa vie elle avait employé le féminin pour parler d’elle-même. Il ne sut que dire car très peu entraîné à trouver des mots de réconfort, il devait bien admettre que d’habitude chez la femme il s’occupait du corps avant l’esprit ; par contre le dernier terme lui déplût souverainement. Il regarda d’un air contrarié la chevelure de lionne contre lui.
- « Honte ? Voilà bien un mot ridicule ! J’aimerais bien savoir ce qu’il y a de honteux à vouloir vous jeter au cou d’un homme aussi séduisant, aussi irrésistible et intelligent que moi ! »


Un léger rire étranglé de sanglots émergea de la masse dorée. Elle releva son visage et Girodelle prit de plein fouet sa beauté ravagée, son nez rougi et la détresse d’un pauvre sourire. Le tout déclenchant immédiatement un nouveau signal d’alarme dans son cerveau. Il la considéra d’un air infiniment contrarié.
- « Colonel...il faudra tout de même me dire un jour comment vous faites... »
- « Pa...pardon ? Comment je fais quoi... »
- « Comment vous faites pour être toujours aussi séduisante dans n’importe quelle circonstance, même en plein marasme. Je vous assure que j’ai connu nombre de femmes qui se transformaient en véritables gorgones dès la première larme venue. C’est un mystère je l’avoue car chez vous, c’est tout le contraire. Cela vous rend encore plus désira... oui bon et puis peu importe, il est temps pour vous de partir je crois. »


Et voilà.
C’est à cet instant qu’il commit l’erreur de sa vie, même s’il ne le comprit que trop tard : il l’aida à se relever.
En un instant elle fut contre lui, mais pas comme toute à l’heure non ; ardente, malheureuse, désespérée au delà des mots en l’enflammant de ses yeux clairs. De ce regard azur qui ne se détachait pas du sien, figé, zébré d’éclairs de tristesse le fixant comme jamais.
Pourquoi bon sang, pourquoi avait-il eu ce réflexe ? Jamais il n’aurait dû la toucher...Mais elle était là, vibrante d’une telle souffrance qu’il comprit enfin la raison de son étrange comportement : ce n’était pas d’amour physique dont elle avait besoin mais d’amour tout court. Et il fut complètement pris de court par cette constatation. Comment réussit-il à ne pas l’embrasser, la couvrir de baisers à cet instant précis ? Il ne le sut jamais. Ou plutôt si, il le sut parfaitement.
Parce qu’elle le lui demanda. Précisément pour cela.

- « Serrez-moi dans vos bras Victor, je vous en prie... »

Il tendit chaque muscle, ferma son visage à cette supplique.

- « Non. »

Il aurait dû s’éloigner, mettre un océan entre elle et le désir qu’il sentit de nouveau monter presque violemment dans chacune de ses terminaisons nerveuses rien qu’à la l’entendre respirer, si proche. Mais il ne bougea pas, la laissa le regarder en se sentant flatté au fond qu’elle le découvrît si différent de ce qu’elle avait imaginé. Puis il vit ses yeux descendre, se mettre à courir contre sa peau dénudée et il se maudit de n’avoir pas remis cette foutue chemise qui traînait quelque part dans la pièce.
- « Je peux savoir ce que vous faites ? »

Elle ne parut même pas l’entendre. N’existait que cette chaleur diffusée par leurs corps et ce souffle tiède qu’elle laissait à la base de son cou, rapide, urgente. Il répéta sa demande, adora prononcer cette phrase stupide puisqu’il sentait déjà contre son ventre des doigts malhabiles. Le ciel mouillé de ses yeux le détaillait et pourtant il eut l’étrange impression que ce n’était pas lui qui était là, elle paraissait complètement désorientée en découvrant ce corps masculin, semblant en superposer un autre. Etait-il fou, définitivement ? Qui pouvait la rendre à ce point malheureuse...Il y avait plus important de toute façon que de savoir ce qui se passait dans sa jolie tête. Arrêter cet épouvantable délice, coûte que coûte.
- « Oscar...je crois avoir été clair. Je...je vous demande de partir immédiatement. »

Elle entrouvrit ses lèvres mais ne dit mot, suivit la légère pilosité qui courait près de son nombril. Puis releva des yeux absolument irrésistibles de peine contenue. Le ton de sa voix fut presque enfantin sous son murmure.

- « Tous ces désirs, cette force qui sommeille en nous, qui nous rend si faibles… Cela vous fait-il mal à vous aussi, de les contenir ?»
Il prit appui sur le mur d’une main, accablé de tentations quand elle effleura le bas de son ventre puis détourna son visage en acquiesçant.
- « Oui...oui je souffre, comme vous apparemment mais je vous le répète je ne vous ferais pas l’amour. Je ne vous aime pas Oscar, je n’aime que le plaisir et son goût d’amertume. Comme une drogue. Et vous, vous êtes trop pure pour vous perdre dans le soufre de ces liaisons stériles. »
- « Pure ? Prude vous voulez dire, ignorante... »


Il planta brutalement son regard, mécontent par ce ton désabusé.
- « J’ai bien dit « pure » mon Colonel ! Et j’entends à ce que vous le restiez ! Mais que croyez-vous à la fin, que multiplier les amants vous rendra heureuse ? Que faire l’amour avec un homme choisit au hasard vous contentera ? Pardon d’être crû mais vous pourriez vous envoyer la garnison entière que vous auriez toujours la même souffrance au fond des yeux, comme en ce moment ! Et moi...et moi j’ai besoin de vous voir autrement, je veux retrouver ce militaire qui me tente par ses regards violents de fierté, par sa force apparente, et deviner sans jamais obtenir votre corps de femme enfoui sous ces oripeaux militaires. »

Confondu par un aveu qui le surprit lui-même, Girodelle réussit enfin à se détacher de l’emprise charnelle de cette femme unique et lui tourna le dos, résolument. Aux prises avec ses propres démons il ne s’embarrassa plus de politesse.

- « A présent foutez-moi le camp mon Colonel, par pitié. Vous êtes…vous êtes ce que je ne serai jamais, vous êtes un idéal que je veux garder intact…Bon Dieu, aurais-je cru pouvoir dire cela un jour ! Et le pire est que je ne m’en étais même pas rendu compte…Seriez-vous venue pour votre seul plaisir que je me serais fait un devoir de vous combler au-delà même de vos espérances avais-je espéré, mais…ce que vous cherchez, ce dont vous avez réellement besoin je ne peux vous le procurer. Je crois même n’en avoir aucune envie.
Non, je ne vous aime pas Colonel de Jarjayes, je vous désire là est la différence, et ce sont deux choses qui ne peuvent cohabiter dans ma vie.
Mais je ne suis qu’un homme…et vous une femme à ce point séduisante que je ne sais même pas comment je fais pour ne pas vous arracher votre chemise. Alors partez, car j’ai envie de vous à un point tel que... »
- « Moi aussi. »


Bon dieu non...
Sa main se crispa sur le mur, se ferma comme pour réduire en poussière la jouissance qui tordit violemment son bas-ventre de la sentir revenir à lui, caresser son dos et insinuer de nouveau sa main sur son ventre. Sa violence l’avait révolté, dégoûté…à présent ses contacts d’une douceur ineffable le marquaient aussi douloureusement que de l’acier chauffé à blanc. Il s’adossa, ferma très fort les yeux pour fuir définitivement une situation qui le rongeait.
- « Allez vous-en Bon Dieu, ne faites pas ça... »

Une poussée sanguine pulsa plus fortement quand elle défit un bouton, deux, ses poings broyés le long de son corps pour contenir le gémissement en sentant son pantalon délicatement s’ouvrir. Sa poitrine se souleva de manière puissante puis se bloqua, d’un coup, sous l’intrusion exquise d’une main si chaude que sa verge se durcit d’incroyable manière et envoya une onde de plaisir dans son corps entier. Elle continua sa progression, s’insinua complètement dans l’antre de tissu. Incapable d’articuler le moindre son il rouvrit les yeux, vit deux ciels chavirés d’éclats de larmes. Et toujours cette voix qui le renversait complètement.
- « Pour quelques heures...ne pouvons-nous oublier qui nous sommes ? Ni Colonel, ni Lieutenant, juste vous et moi...juste... »

Les doigts atteignirent son sexe tendu d’excitation et un râle très sourd déchira sa gorge dès la première caresse sur la pointe humide de désir. Son Colonel…cette femme, à la chemise de dentelles trop ouverte, l’explorant d’une main devenue effroyablement douce et tremblante. Comme sa voix, de peine contenue…

- « Pourquoi ressent-on tant de culpabilité dites-le moi, alors que ce plaisir est si bon…Car cela est bon n’est-ce pas ?

Il hocha vaguement la tête.
Les doigts malhabiles glissaient au hasard, le long de la peau intime qui se gorgeait de vie. Il serra ses mâchoires pour retenir son contentement mais ne put contrôler ses hanches qui lentement se mirent à bouger. Comment pouvait-elle faire cela, pourquoi…Elle le regardait, un insondable désespoir faisait vibrer ses prunelles et pourtant elle ne semblait pas le voir, paraissait découvrir et caresser un autre que lui.
- « Dites-moi ce que cela vous fait…quelles sont les sensations que cela vous procure, dites moi… »
Il contracta tous les muscles de son ventre tellement le va-et-vient qu’elle amorça était…

- « C’est…c’est extraordinaire… »

Sous le mouvement de son bassin le sous-vêtement céda un peu de terrain et sa verge apparut aux regards dévorants de son supérieur ; elle aurait dû avoir un mouvement de recul face à ce membre en érection, beaucoup de femmes trouvaient cela choquant, elle plus que toutes autres avait-il cru…Elle ne rougit pas non plus, mais eut une réaction que jamais il n’aurait pu prévoir. Il vit…son menton trembler pour ne pas se remettre à pleurer, comme si ce qu’elle voyait, faisait, jamais elle ne le ferait plus de sa vie entière.
- « Pourquoi faut-il que je te désire autant… »

Ce n’était pas lui. Ce n’était pas à lui que s’adressaient ces mots. Avait-elle seulement conscience de les avoir prononcés ? Elle était ailleurs. Elle ne l’aimait pas, elle ne le désirait pas, il avait donc bien deviné…
Girodelle sentit ses reins se tendre un peu plus, lui envoyer une décharge insoutenable de délice à cette idée ; elle pensait à un autre mais c’était son sexe qu’elle enserrait et caressait sans relâche sur toute sa longueur, à le rendre fou quand la pointe de ses doigts venaient sans y prendre garde sur le gland sensible, repartaient…
Lui non plus ne la vit plus.
Seul ce plaisir sauvage existait, la douleur savoureuse de son bas-ventre, et l’excitation qui grandissait à mesure qu’il bougeait ses hanches, plus vite, de manière involontaire. Et cette main blanche et fine, cette délicatesse, ce désespoir mêlé de curiosité en voyant l’extase qui le gagnait et qu’il tâchait de contenir. Lui, à moitié nu contre ce mur et la main de son Colonel contre son sexe, ces dentelles faussement ingénues frôlant son épaule et son bras, ce souffle tiède…
Il sentit son sang battre plus fort, sa verge se gonfler d’autant et comprit qu’il ne pourrait plus tenir, si prêt d’expulser son plaisir dans un râle…

- « Non ! »

D’un soubresaut volontairement agressif il la bouscula, percuta ce corps et se dégagea de l’invisible prison qu’elle tissait autour de lui, haletant, exsangue, perclus de voluptés inassouvies.
Mais résolu.
Pas elle, pas de cette façon. Jamais.
Cette image, cette main blanche souillée de son sperme il ne la voulait pas.
Il mit quelques secondes avant de reprendre ses esprits puis se rajusta, brusque, avant d’aller ramasser la veste galonnée. Il parvint même à offrir un semblant de sourire face à l’air perdu de cette femme ensorcelante.
Le Comte de Girodelle tendit le vêtement, le regard bien droit quoique encore pris dans les voiles troubles de ses pulsions délicieuses.

- « Merci Colonel, cette visite restera de loin mon plus beau souvenir mais à présent le jeu est terminé. Nous nous sommes tout dit je pense et il est préférable que vous partiez sans attendre. Ne m’en veuillez pas de ce manque flagrant d’hospitalité, mais je souhaite tout de même dormir un peu avant que l’aube ne se lève, dans quelques heures à peine je le crains. »
Il fixa un instant la veste militaire. « Même si je le voulais, je ne pourrais jamais oublier que vous êtes mon supérieur. Et qu’à se titre vous faire l’amour ne peut entrer dans mes fonctions habituelles. Rentrez chez vous maintenant, vous m’obligeriez. »


Il se détourna sitôt qu’elle eut saisi la preuve de son autorité nobiliaire, se posta devant le feu en essayant de chasser tous ces bruits infimes d’étoffe qui le rendaient fou, espéra très vite entendre la porte se refermer.
Il l’entendit, oui.
Non sans avoir reçu auparavant un éphémère contact sur sa joue, plus léger qu’un frôlement d’oiseau.
Pensif, agité, il resta un moment en sachant très bien qu’il allait se rendre sans attendre au Palais-Royal. Et qu’il la choisirait blonde, celle qui apaiserait le feu de ses reins. Et douce. Même si rien au monde ne pourrait l’être autant que le baiser qu’il venait de recevoir. Il rit intérieurement, se moqua de lui-même d’un soupçon de fierté malgré tout. C’était si facile, si facile de clamer une évidence quand elle n’est pas vraie.

Détournant son attention il avisa l’échiquier où la partie était engagée contre lui-même depuis plusieurs jours. Comme absent, il se saisit de la dame blanche. Si facile décidément. Il songea à la courtisane qu’il allait avoir bientôt dans ses bras,
à son ardeur avec laquelle il l’honorerait, et combien il lui donnerait de plaisir surtout. Il était si bon amant. Ce qui n’était
pas bien difficile puisqu’il ne pouvait faire l’amour qu’à des femmes qu’il n’aimait pas.
Du pouce il caressa la couronne d’ivoire, savoura la vision de deux seins adorables dessinés par les flammes dansantes.
Il haussa les épaules, résigné…


- « Echec et mat... »


…et regarda la figurine se consumer lentement dans le brasier.




préc.          suiv.






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