Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
 rozam blog

Chapitre 2. A l'ombre d'un soldat en fleur

30 Juin 2010 , Rédigé par rozam

 

 

Le Comte de Girodel allait se ruer hors de la pièce quand une soudaine inspiration le retint : évidemment, avant le Roi il y avait une autre personne à prévenir.
Son supérieur.


Malgré sa nervosité croissante, un sourire que certains auraient hâtivement qualifié de niais…et qui l’était en effet, s’afficha lentement sur ce beau visage. Ah son supérieur, quel terme on ne peut plus approprié pour le définir.
La…définir.
Plus belle, plus mystérieuse, plus intensément envoûtante et inaccessible chaque jour.

Mais comment tous ces imbéciles de soldats sous ses ordres pouvaient-ils à ce point se laisser abuser ?
Certes ils ne voyaient leur Capitaine que de loin la plupart du temps, était-il cependant possible que pas un n’ait remarqué la finesse de ce corps, l’émouvant tracé des épaules juvéniles, les grâces involontaires de certains de ses mouvements ?
Et ses jambes…Ces longues jambes au galbe nerveux fendant l’espace, avec lesquelles elle traversait l’existence de ce pas arrogant et fier qui la caractérisait si bien, ignorante des admirations équivoques qu’elle traînait à sa suite.
En un mot, était-il seulement concevable de ne point voir la femme qui sourdait sous l’apparente froideur élégante d’Oscar de Jarjayes, Capitaine de la Garde attaché au service de la Dauphine, future Reine de France ?

Et pourtant cela était, par la seule force d’un tempérament de feu, une volonté hors du commun qui renouvelait ce miracle de chaque instant : tenir pour vrai l’incroyable imposture d’une jeune fille se faisant passer pour le plus vaillant des militaires.

Mais lui, Girodel, voyait depuis peu une autre réalité. Celle d’une féminité subtile qui s’affirmait au fil des jours, des courbes hier androgynes se faire aujourd’hui déliées, souples, infiniment troublantes parce que jalousement préservées de toutes indiscrétions.
La vérité, c’est que sans même s’en rendre compte ce corps avait soudainement perdu à ses yeux toute ambiguïté, par la magie de ces deux mots tout simples : dix-huit ans.

Dans quelques jours Oscar fêterait son anniversaire, la jeune fille ignorant que la Nature lui avait déjà fait le plus beau des présents : l’adolescente n’était plus, laissant place à une jeune fille que le Comte avait de plus en plus de mal à ne pas détailler avec admiration.

Là où il n’y avait eu que promesses encore emmitouflées d’aubes chastes, régnait à présent un clair soleil de Printemps qui incendiait littéralement son cœur par sa blondeur et par son charme.
Bercé par les images fantasmagoriques de son trop beau Capitaine, le Comte ne s’était pas aperçu qu’il s’était rassis, et ses yeux distraits se reposant sur la lettre le ramenèrent peu à peu à la réalité.

Et brusquement, en un éclair, ou grâce à un véritable trait de génie plutôt, ce ne fut plus seulement ce mystérieux message qu’il crut tenir entre ses mains mais bien le moyen, unique, de concrétiser enfin les charmantes ambitions qu’il fondait depuis si longtemps.
Oscar s’obstinait à ne voir en lui qu’un subordonné zélé et discret ? Et encore, voir était un grand mot car elle ne lui accordait que très rarement le privilège de le submerger de ses yeux d’océan.
Et bien tout cela allait changer !

Girodel en avait plus qu’assez de ce rôle d’ombre servile et obéissante, il voulait goûter aux splendeurs de la renommée, de la gloire, du prestige ! Nul doute, alors, que cette aura propre à attirer tous les regards, lui ouvrirait non seulement les portes des hautes sphères du pouvoir, mais également celles infiniment plus enivrantes du cœur de sa dulcinée.

Et sans plus réfléchir, le Comte sortit en trombe pour mettre son plan à exécution.
Déconcertant de simplicité, celui-ci tenait en quelques mots : au lieu de soumettre le mystérieux message à son Capitaine, Girodel allait s’adresser dès à présent aux plus hautes instances c'est-à-dire au Chancelier du Roi, Monsieur de Maupeou. Ainsi, tout le mérite d’avoir débusqué les prémices d’un redoutable attentat rejaillirait sur lui, et Oscar si sensible au courage et à la fermeté de caractère, ne tarderait pas à le voir d’un autre œil…

Un plan réellement infaillible.
Et tout fonctionna à merveille, en effet.
Dès le surlendemain, le Comte de Girodel était reçu dans les appartement privés du Roi où l’avait convoqué le Chancelier Maupeou, présent également, …ainsi que le mystérieux Comte de Broglie.

Ce dernier personnage était un véritable mythe, dont le nom s’échangeait tout bas parmi les courtisans.
Personne ne savait clairement les fonctions qu’il occupait au sein du pouvoir mais on murmurait que son influence était telle qu’aucune décision importante ne se prenait sans qu’il en soit consulté en priorité. Girodel n’allait pas tarder à comprendre pourquoi.

_ « Messeigneurs, le Roi ! » aboya soudain le Chambellan.

La porte s’ouvrit, laissant place au monarque qui malgré ses presque soixante-quatre ans, conservait intact la prestance et le royal maintient hérités de son arrière grand-père, le Roi Louis XIV.

_ « Et bien Messieurs, puis-je enfin connaître les raisons d’une telle assemblée ? » fut la première remarque du souverain.

Son Chancelier s’avança aussitôt.

_ « Votre Majesté, si j’ai pris la liberté d’organiser cette réunion impromptue en effet, c’est que la situation m’a semblée si grave qu’elle ne pouvait souffrir d’aucun retard. Je ne vais donc pas atermoyer plus longtemps : tout porte à croire que l’on prépare un attentat contre votre personne, Majesté ! »
En quelques mots, le Chancelier relata la découverte de Girodel puis tendit le feuillet.

Louis XV dit le Bien-aimé prit rapidement connaissance de la fameuse lettre dont Maupeou avait fait une copie.
_ « Et bien ? » s’exclama le Roi lorsque ce fut fait, « qu’est-ce que tout cela veut dire ? Car il s’agit évidemment d’un langage codé n’est-ce pas ! »
Le Chancelier se racla la gorge, mal à l’aise.
_ « Précisément Votre Majesté, à ce qu’il semble tout du moins. Seulement… »
_ « Oui ? Et alors mon ami, poursuivez ! »
_ « Seulement, et bien que nos spécialistes s’acharnent dessus depuis deux jours, n…nous ne sommes pas encore parvenu à décrypter le contenu de ce message, Votre Majesté… » déversa rapidement le fidèle Ministre, sûr du royal courroux qui allait suivre.

Il arriva effectivement sans attendre.
_ « J’espère avoir mal entendu! Une plaisanterie de fort mauvais goût, peut-être ? ».
_ « Je…non, Sire. Comment vous expliquer cela…il s’agirait apparemment d’une cryptographie totalement inconnue, un code si complexe à vrai dire, si novateur, si redoutablement habile, que…que nous nous retrouvons pour le moment impuissants à en définir la signification complète… »

Signe d’une extrême agitation mais surtout du mécontentement le plus absolu, le Roi se redressa d’un coup, la vois tonnante.

_ « Et croyez-vous que je vais me contenter de cette réponse pitoyable? Dois-je vous rappeler que je me targue de posséder le service de renseignements le plus perfectionné d’Europe, appelé « le Cabinet Noir » ? Aussi pensez-vous que je vais réellement croire à cette insanité lorsque vous me dites que ce fameux service dirigé par le Comte de Broglie ici présent, est tenu en échec par un ridicule petit message ! »
Sans en laisser rien paraître, Girodel déglutit avec difficulté. Plus rien ne se passait comme prévu tout à coup, et ses beaux rêves de gloire s’effilochaient aussi sûrement qu’une pelote de laine dans les mains d’un bambin négligeant.

Le Cabinet Noir…

Appelé également Secret du Roi, ce réseau de contre-espionnage fournissait à l’Etat les comptes-rendus les plus fidèles que l’on puisse imaginer sur les faits et gestes des grands de ce monde. Pas de courrier, de mission diplomatique, de tractations politiques ne pouvaient échapper à la vigilance occulte de ce service, qui étendait son influence sur la quasi-totalité des Cours européennes, y compris celle de Russie.

Et pareille compétence avouait ses limites ? Mais c’était une catastrophe allant bien au-delà de l’affaire d’Etat, pour Girodel ! Pas d’attentat déjoué, pas de distinctions officielles !
Pas de distinctions, pas d’Oscar transie d’amour…

_ « Comte de Broglie, approchez ! » poursuivait le Roi, « et dites m’en plus je vous prie. »

Guère plus à l’aise que le Chancelier, l’interpellé s’efforça de faire bonne figure.

_ « Sire, je ne puis que reprendre les termes de Monsieur de Maupeou quand à notre incapacité à y voir clair. Nous travaillons pourtant sur ce code nuit et jour, mais les résultats sont maigres il faut bien l’avouer. Nous sommes néanmoins parvenus à quelques conclusions. »
_ « Ah ! Tout de même ! Et bien ? »
_ « Si vous le permettez, je vais reprendre le texte depuis le début, Votre Majesté. » le Comte de Broglie s’éclaircit la gorge. « Allons enfants de la Patrie, symbolisent évidemment les opposants à la Royauté, Sire, et ils sont légions en ces temps troublés. D’ailleurs, le fait que cette lettre ait été trouvée sur un étudiant activiste ne le montre que trop. Quand à la phrase suivante : le jour du linge est arrivé, elle ne peut que signifier…l’attentat vous visant. »
Le monarque eut un haut-le-corps.
_ « Plaît-il ? M’assimilerait-on à un vulgaire paquet de chiffons ? »
_ « Heu…oui, enfin métaphoriquement parlant bien entendu, Votre Majesté… »
_ « Bon, bon, passons ! » s’impatienta Louis XV, dont les airs parfois supérieurs du Comte de Broglie l’agaçaient.
_ « Faut laver les sols de la Tyrannie est évidemment sans équivoque : une action de grande envergure semble se préparer Votre Majesté, visant très certainement à décapiter les têtes pensantes de l’Etat. Et dans ce cas, Sire, vous ne seriez plus le seul visé, mais bien nous tous ! L’ensemble de votre gouvernement, rien de moins ! Un changement de régime se régénérant par le sang. Le nôtre !»

Louis XV fit la moue.
_ « Comte de Broglie, ne croyez-vous pas que vous exagérez tout de même un peu … » tempéra le Roi, dubitatif, concrétisant le doute unanime de la petite assemblée.
_ « La phrase suivante le laisse pourtant présager ! » se justifia le Comte, « le rideau sanglant est levé… ne pourrait-il s’agir de nos meurtres ? Et oui : nous tous éliminés, nous laisserions ainsi place nette à nos assassins et le nouveau régime politique qu’ils veulent instituer ! »

Le Roi s’accouda pour se prendre le menton d’une main, de moins en moins persuadé.

_ « Mmh, je vois… » dit-il précisément parce qu’il n’y voyait rien du tout. « Et en ce qui concerne le reste du texte ? »
Là, le Comte de Broglie perdit toute assurance.
_ « Quand à ces deux phrases, Majesté, entendez-vous dans nos verres, rugir ces féroces alcools…elles restent pour nous un mystère. »

Cette fois le monarque se leva pour faire quelques pas agités.
_ « Et là encore, je dois me contenter de cette réponse ridicule ! Aucune indication sur le lieu, l’heure, le jour de l’attentat ? Sur ceux qui le commanditent ? »
_ « N…nous y travaillons Votre Majesté… »

Girodel était atterré.
Relégué à l’arrière-plan, voilà tout ce qu’il avait gagné dans cette affaire…le Roi n’avait même pas eut un mot pour lui, pas un regard, pas le moindre remerciement pour avoir débusqué cette maudite lettre.
Comment briller aux yeux de son beau Capitaine à présent ?
Ah bon sang ! S’il n’essayait pas de retourner la situation à son avantage, la troublante Oscar ne saurait jamais quel homme exceptionnel se cachait sous l’uniforme strict de son Lieutenant ! Il tenta le tout pour le tout.

_ « Votre Majesté, puis-je vous suggérer une solution ? »

Trois pairs d’yeux s’attachèrent aussitôt à sa silhouette, tandis que l’intimidante stature royale lui faisait face.
_ « Et bien mon ami ! Suggérez, suggérez ! »
Le jeune homme obtempéra avec une pointe de fierté devant l’impatience intriguée du monarque.

_ « Voici, Votre Majesté : je sais que ma supposition vous semblera audacieuse mais… le fait d’avoir trouvé ce message sur cet étudiant pourrait désigner des opposants au régime appartenant à un entourage bien plus proche que vous ne le pensez… »
_ « Que voulez-vous dire ? » questionna sévèrement le Chancelier Maupeou, ne semblant pas beaucoup apprécier ce sous-entendu.

Comprenant la critique sous-jacente, Girodel s’empressa de préciser :
_ « Je ne parlais pas de votre ministère actuel, Sire. Mais plutôt de vos adversaires affichés…comme le Duc d’Orléans ou le Duc de Guéménée par exemple. Vous n’êtes pas sans ignorer que le Duc d’Orléans vient d’être introduit au sein de la confrérie des Francs-Maçons, qui est de jour en jour un vivier d’idées nouvelles trouvant écho auprès d’une certaine noblesse et du monde étudiant. On dit même que dans un avenir très proche, le Duc occuperait la charge de Grand-Maître au sein de cette société secrète, position éminemment stratégique pour fomenter quelques coups d’Etat. Ne pourrions-nous donc commencer par enquêter de ce côté-ci ? »

La proposition fit apparemment grand effet…car accueillie dans le silence le plus total.
_ « Eh bien Messieurs, qu’en dites-vous ? » questionna finalement le Roi en se tournant vers ses conseillers, étrangement muets. « La suggestion est judicieuse, convenez-en ! »
Des mines suspicieuses lui répondirent, moins par doute que par la contrariété de ne pas y avoir pensé eux-mêmes. Fort de cette petite revanche d’orgueil, le Comte de Girodel poursuivit.

_ « Et j’ai même une autre proposition, Sire. Je connais la personne idéale pour mener à bien cette mission de surveillance : le Capitaine de Jarjayes ! Comme vous le savez, sa loyauté envers vous n’a d’égal que sa bravoure et son courage, nul doute qu’il saura faire preuve de toute la discrétion nécessaire. Ainsi, si vous permettez que j’assiste le Capitaine de Jarjayes dans cette enquête, nous pourrions dès demain commencer une discrète infiltration dans l’entourage de… »
_ « Ah non ! »
Retrouvant soudainement la parole, le Comte de Broglie se leva, furieux.

_ « Confier une telle mission a des militaires ? mais il n’en saurait être question ! La survie de l’Etat en dépend et ne peut souffrir d’aucun amateurisme ! »
Girodel se dressa à son tour, sentant la moutarde lui monter au nez de se faire traiter « d’amateur ».

_ « Comte de Broglie » gronda t-il, « insinueriez-vous que le Capitaine de Jarjayes est un incapable ? Dois-je vous rappeler la tentative d’enlèvement de la Dauphine déjouée par ses soins ? Le qualifier d’amateur est une injure que je ne puis accepter ! C’est un affront, un… »
_ « Suffit, Messieurs ! » s’interposa le Chancelier. « Un peu de tenue je vous prie, vous êtes ici devant le Roi ! »
Ce dernier se rassit justement, ne paraissant pas insensible à l’argument du Comte de Broglie. Louis XV adorait l’intrigue, les enjeux délicats et complexes des manœuvres occultes en politique.
_ « A quoi pensez-vous, de Broglie…à lancer un de vos agents sur cette piste ? »
Contre toute attente, le Comte de Broglie parut assez ennuyé.
_ « C’est que…oui…mais enfin… »
_ « Quoi encore ! Ne me dites tout de même pas que vous n’avez personne à nous soumettre ! »
_ « Non…ce n’est pas cela Votre Majesté. Je pense au contraire à un jeune homme fort habile, qui se trouve être en ce moment à Londres. Il n’est certes encore jamais venu en notre beau pays, ce qui n’en serait que plus parfait pour surveiller discrètement le Duc dont la méfiance légendaire est déjà parvenue à repérer certains de nos espions. Seulement… »
_ « Ah, vous n’allez pas vous y mettre vous aussi !» s’insurgea au bout de quelques secondes le monarque. « J’en ai plus qu’assez de vos « Seulement… » plein de points de suspensions, Maupeou et vous ! Poursuivez Comte, Nous l’exigeons ! »
Lorsque le Roi commençait à parler de lui à la troisième personne, ses conseillers savaient par expérience qu’il n’était jamais bon de tester sa patience.

_ « Et bien cela concerne la personnalité de ce jeune homme, Votre Majesté. Il est certes l’un de nos plus brillants agents…mais également, comment dire…quelque peu…ingérable : en vérité c’est un coureur de jupons invétéré. »
_ « Pardon ? »
_ « Oui. Il se trouve qu’il est fort joli garçon Sire, et ne peut s’empêcher disons…de papillonner sans vergogne. Pour tout vous dire, c’est même devenu sa plus sûre couverture si j’ose m’exprimer ainsi, car en se taillant une solide réputation de Don Juan, il dissimule par là même ses activités diplomatiques…parallèles. »
_ « Et alors, ce jeune homme est-il efficace ? Je veux dire comme agent, est-il fiable ! »
_ « Certainement, Majesté ! Je vous l’ai dit, il est extrêmement brillant. Il parle couramment l’italien, l’allemand, le français bien sûr ; fine lame et très adroit au maniement des armes, il est assurément très pugnace et redoutablement intelligent sous ses dehors dilettantes de joyeux noceur. Mais… »
_ « De Broglie… » gronda le Roi, « ne recommencez pas avec vos sous-entendus ! »
_ « Pardonnez-moi Votre Majesté. Je voulais simplement observer qu’un tel homme, arrivant ainsi pour la toute première fois à la Cour de France…pourrait fort bien se laisser aisément distraire par les jeunes beautés qui en constituent les plus beaux ornements, Sire. Il a déjà fait tourner bien des têtes, dont certaines couronnées à ce que l’on dit… »
_ « Ah oui ? » murmura Louis XV, rêveur, assez intrigué par de si grandes capacités de séduction. « Cela serait fâcheux, évidemment…Et bien, adjoignons lui un équipier, alors. De la sorte, ce fougueux jeune homme sera bien contraint de modérer ses ardeurs. Tenez, pourquoi ne pas demander justement au Capitaine de Jarjayes de le seconder dans cette enquête… »

Ayant l’exacte sensation de sentir le sol se dérober sous ses pieds, Girodel se leva comme un ressort.
_ « Mais…Votre Majesté ! Il ne se peut ! »
La lenteur avec laquelle le monarque tourna la tête vers le Lieutenant ne laissa rien présager de bon.
_ « Et puis-je savoir pourquoi, je vous prie ? » dit-il d’une voix dangereusement douce.
_ « Ce…c…c’est-à-dire… ».

Victor-Clément de Girodel eut soudain l’impression de voir son monde s’écrouler : non seulement l’espoir de mener cette mission aux côtés d’Oscar s’envolait définitivement, mais en plus un bellâtre venu d’on ne sait où allait prendre sa place !
Un séducteur redoutable, qui plus était !
Aux côtés de la plus belle femme qui se puisse imaginer enfin…travestie, mais c’était la même chose.
Lui, Girodel, ne pouvait laisser faire cela, c’était impossible...comme il était également impossible de révéler le doux secret de son Capitaine…

_ « Votre Majesté, » essaya t-il néanmoins, éperdu, « voyons, le…le Capitaine de Jarjayes ne peut être affecté à une telle mission, ses hommes ont besoin de lui… »
_ « Vous le remplacerez, voilà tout. » susurra le monarque, presque suave. « Ne disiez-vous pas à l’instant que le Capitaine était l’homme de la situation ? »
_ « Ce…certes, mais… »
_ « M’auriez-vous mal compris, Monsieur de Girodel ? » explosa brusquement Louis le Bien-Aimé en se levant, et d’un ton qui n’admettait aucune réplique, « ce n’est pas un avis que je vous donne ! Mais un ordre ! Et j’entends à ce qu’il soit exécuté dans les plus brefs délais ! D’ici là Messieurs, aucune information ne doit filtrer. Cette entrevue doit rester secrète aussi longtemps que cet agent ne sera arrivé sur le territoire français. Est-ce bien clair ? » La dernière remarque s’adressait directement à Girodel, qui n’en menait pas large, soudain. « M’avez-vous parfaitement compris cette fois, Monsieur de Girodel ? Pas un mot, même à votre Capitaine ! Mon Chancelier vous convoquera ! »

Et sur cette envolée pleine de fracas et de fureur, le Roi Louis XV alla regagner la Grande Galerie où l’attendaient ses courtisans.
Pâle comme la mort, Girodel resta figé de longues secondes, le regard vide sur ses beaux rêves brisés…

Le Chancelier Maupeou finit par s’approcher, affable.

_« Et bien, Comte! Vous avez fort mauvaise mine, tout à coup! Seriez-vous souffrant ? » Il baissa d'un ton,
et se rapprocha de son interlocuteur sur le mode de la confidence. « Auriez-vous, comme moi-même je l'avoue, quelques ennuis gastriques ? La nourriture est parfois si abondante à Versailles...Tenez, je vais vous confier mon secret : j'ingurgite une décoction d'ail bouilli matin, midi et soir ! Cela vous donne une haleine proprement pestilentielle, mais bah ! Vous devriez essayer : c'est très efficace...»
 

 

 

 

préc.         suiv.       

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article