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 rozam blog

Chapitre 14. Lumière et Ombre

30 Juin 2010 , Rédigé par rozam



_ « Il est encore trop tôt. »



Curieux comme l’attitude, le ton, les manières d’une personne peuvent influer sur l’effet dramatique ou non d’une scène.
Profondément chamboulée par ce qu’elle venait de vivre et ressentir, Oscar fut sidérée de voir les deux protagonistes de ce rituel démoniaque reprendre place auprès de la table, mais comme deux compères devisant le plus civilement du monde cette fois.
Et à l’écoute de ces voix affables la lumière incertaine des candélabres perdit d’un coup sa maléfique emprise sur le cœur de la jeune fille, les fauteuils vides devinrent de pauvres pantins abandonnés ; même cette table pentagrammatique avait des allures pitoyables bien que laides, toujours, mais différentes, comme vidées de sens. Elle s’était dégagée des mains du Comte, avait raffermi son courage tout autant que son corps et rejeté la faiblesse honteuse née d’un acte odieux ; et se concentra sur la conversation qui malgré les apparences n’avait rien d’anodin.
 
_ « Il est encore trop tôt, » disait le Duc d’Orléans, « trop tôt pour lancer l’ultime attaque. Néanmoins les pions sont en place sur l’échiquier mais j’avoue que sans votre aide je n’aurais pu si aisément porter le coup fatal. Echec au Roi ! Une merveille. Cette fois le régime ne pourra s’en relever, et bientôt l’Europe entière ne bruissera que du fracas de cette guerre de tous contre tous. Vous verrez ! Le foyer que je vais allumer va embraser le monde et par là même réduire en cendres Versailles et sa Cour indigente d’aristocrates moisis.
Le plus fabuleux échec et mat de toute l’Histoire… »
 
Le Chancelier Maupeou acquiesça.
_ « Je n’en doute pas, la partie promet d’être belle à voir. Cependant je n’en connais que quelques coups à l’avance, j’avoue ne pas bien comprendre encore le rôle que je vais y jouer. Souvenez-vous, vous ne m’avez dit que très peu de chose lors de notre dernière entrevue ici même. »
_ « Et vous n’en saurez pas plus aujourd’hui ! » rit le Duc, savourant la mine déconfite de son complice. « je vous taquine, mon cher, je vous taquine ! Quoiqu’à demi : si je ne veux certes pas encore vous révéler votre mission, le voile se lèvera pour vous demain. Demain soir, lors du bal donné en ces murs, Rochemont vous remettra les documents nécessaires à l’accomplissement de votre tâche. Oui, ne vous étonnez pas de ce surcroît de prudence, mais l’issue est si proche que je ne veux prendre aucun risque menaçant ma réussite pleine et entière. Alors prenez du bon temps demain soir, amusez-vous, ne vous souciez de rien. L’homme dont je vous ai parlé viendra à vous au cours des festivités. Moi, vous ne m’y verrez pas. »
 
_  « Comment ? » s’exclama Maupeou, « vous n’assisterez pas au bal que vous offrez à vos invités ? Mais… »
Le Duc se leva, nettement contrarié cette fois.
_ « En fait je repars pour Versailles sur l’heure ! Pour tout vous avouer… » Il s’arrêta, contemplant les signes kabbalistiques de la table d’un air sombre. « Pour tout vous avouer, il y a tout de même un petit caillou qui est venu récemment enrayer la superbe mécanique de mes projets. Deux devrais-je dire, et cela ne me plaît pas du tout… »
 
Dans son coin Oscar sentit un tout petit soubresaut : le rire silencieux du Comte l’aida à comprendre que Philippe d’Orléans parlait de leur fameuse rencontre au Palais-Royal.
 
_ « Je m’étonne mon cher Duc, vous habituellement si sûr de vos appuis. Qu’est-ce qui peut ainsi vous inquiéter ? »
Contre toute attente, un coup de poing rageur s’abattit sur le bois noir de la table pour lui répondre.
_ « Ce maudit suédois ! Venir me défier ainsi ! Mais je le briserai vous m’entendez, je le briserai aussi sûrement qu’un vulgaire morceau de bois ! Et je briserai également ce chien de de Broglie, qui a mis cet homme en travers de ma route.
_ « Mais attendez…vous voulez parler du Comte de Fersen ? Ce soi-disant agent de Sa Majesté ? »
_ « Et qui d’autre ! » jeta le Duc, de mauvaise humeur. « Et pourquoi dites-vous « soi-disant » ! Ignorez-vous que je sais tout sur tout ? Depuis je me suis renseigné sur cet homme figurez-vous, je connais parfaitement son activité d’espion du Roi et sa mission de surveillance que lui a confié le Duc de Brog…mais qu’est-ce qui vous prend !! » déversa t-il encore plus méchamment en voyant son vis-à-vis partir dans un grand éclat de rire.
_ « Ah, pardonnez-moi mon ami ! Mais si c’est là toute la source de votre inquiétude, abandonnez-la sur-le-champ ! »
Tandis que le Chancelier se calmait Philippe d’Orléans reprit place.
_ « Que voulez-vous dire… » murmura t-il , dubitatif
 
_ « Mon cher Duc, ce que vous ne savez pas c’est que de Broglie s’est totalement fourvoyé en choisissant ce jeune homme. En vérité ce Fersen est un séducteur, un fanfaron qui ne songe qu’à remuer du vent pour se faire valoir ! Figurez-vous que le Roi a même failli s’étrangler de rage quand ce paltoquet n’a même pas daigné se rendre à sa première convocation ! Pour les beaux yeux de je ne sais quelle Comtesse en plus ! De Broglie lui, était vert de honte de voir son « brillant espion » se comporter comme un vulgaire coureur de gueuses, et a eu droit à la plus belle colère de ce gros Louis ! N’ayez donc aucune crainte. Je les connais bien, ces jeunes coqs de salon qui se croient infaillibles sous prétexte de quelques missions sans importance réussies par-ci par-là. »
_ « Mais il m’a provoqué, ce maroufle ! » rugit d’Orléans. « Venant jusque devant mes invités m’insulter publiquement ! »
_ « Bah, c’est bien ce que je vous disais…du vent. Il s’est contenté de brasser l’air de ses ridicules menaces pour donner le change mais n’a certainement rien deviné du projet dans lequel nous sommes engagé vous et moi. D’ailleurs avec la fausse piste que je leur ai fournie, je puis vous dire que ni de Broglie ni ce Fersen n’ont de chance de comprendre quoi que ce soit un jour ! »
Extrêmement surpris, le Duc n’hésita pas à rapprocher sa chaise de son interlocuteur.
 
_ « Mais vous m’intéressez ! Une fausse piste ? Comment cela… »
Un lent sourire éclaira ce visage de vieillard chenu.
_ « Une véritable aubaine que l’on m’a apporté sur un plateau figurez-vous. Je ne sais si vous connaissez le Comte de Girodel, mais il est arrivé un beau matin tout bouleversé muni du plus ridicule message qui se puisse imaginer, convaincu qu’il tenait là les prémices d’un complot effroyable envers son souverain. Le sot ! Et tenez, je ne résiste pas à vous en donner quelques passages tant c’est du plus haut comique :
 « Allons enfants de la Patrie
 Le jour du linge est arrivé
 Faut laver les sols de la Tyrannie
 Le rideau sanglant est levé…
 
Entendez- vous dans nos verres
Rugir ces féroces alcools… »
 
_  « Quoi ?! Mais qu’est-ce que c’est que ça ! » s’esclaffa en effet d’Orléans. «  C’est stupide ! »
_ « Vous voyez, je ne vous le fais pas dire. Je ne sais absolument pas où cet idiot à pêché cette chose, mais toujours est-il que j’ai aussitôt mis en branle le Cabinet Noir pour en décrypter la signification cachée. De Broglie n’y a vu que du feu, il est tombé dans le piège les deux pieds joints ! Vous auriez entendu ça mon cher, quand ce pauvre imbécile s’est empêtré tant et plus dans l’explication du mot linge censé faire référence au meurtre du Roi ! J’avais toute les peines du monde à garder mon sérieux ! »
 
Il ne s’en priva pas cette fois, et repartit dans un éclat de rire auquel fit aussitôt écho celui de son « cher ami ».
 
Oscar quand à elle bouillonnait de rage.
Manipulés.
Depuis le début. La vie du Roi et son gouvernement n’avaient donc pas été un seul instant en danger, ce message codé servant de leurre pour camoufler quelque chose de si grave apparemment, que l’assassinat du Roi de France n’avait l’air que broutille aux yeux de ces deux hommes.
Pourtant, même si une partie du brouillard se levait autour des activités secrètes du Duc Philippe d’Orléans, beaucoup d’interrogations perduraient dans l’esprit de la jeune fille.
Concernant essentiellement celui qui se tenait tout près d’elle dans ce renfoncement, pour tout dire.
 
A présent elle savait que le Chancelier se trompait.
Fersen n’était pas un séducteur. Ou plutôt si, mais pas seulement cela. Tout était en désordre dans son esprit, comme impressions vagues, mais si le Duc avait mentionné une partie d’échecs tout à l’heure il lui semblait étrangement que Fersen était un adversaire redoutable lui aussi, engagé pareillement dans une série de coups plus habiles les uns que les autres contre leur ennemi.
Elle laissa tout cela pour le moment et écouta la suite, bien décidée à tirer au clair bon nombre de questions dès leur retour à l’auberge.
 
_ « Vous voyez bien que vous n’avez pas à vous inquiéter ! » confirma Maupeou. Mais son compagnon n’eut pas l’air tout à fait convaincu.
_ « Mmmh…peut-être…Il y a tout de même ce Capitaine de Jarjayes qui l’accompagne… »
Le Chancelier hocha la tête.
_ « Là vous avez raison, c’est un peu plus ennuyeux je le reconnais. Il est tenace en effet. Mais affublé d’un tel énergumène comme équipier, je doute beaucoup qu’il arrive à comprendre grand-chose lui aussi,  tout du moins pas avant la réalisations de nos projets. Les avez-vous revu ? »
_ « Ces derniers temps, voulez-vous dire ? Non. Et ils ne m’ont pas suivi jusqu’ici en tout cas. A ma connaissance, sont arrivés récemment dans la ville un négociant en vin, six nouveaux ouvriers pour la réfection de la Cathédrale, deux étudiants venus étudier l’architecture, des pédérastes sans doute. Personne d’autre. Allons, vous avez certainement raison, inutile de s’inquiéter pour le moment. Néanmoins je ne change rien à mes plans : je repars dès ce soir, et vous mon cher allez recevoir mes instructions des mains de Rochemont. »
_ « Et ce Rochemont, vous avez confiance en lui ? »
Le Duc ricana.
_ « Comme en moi-même mon cher : un vrai suppôt de Satan…»
 
 
Plus d’une heure.
Plus d’une heure a griller d’impatience, sentir les questions s’entrechoquer dans son esprit avec fièvre, y répondre parfois et rejeter tout en bloc la seconde suivante…
Aussi discrètement qu’ils étaient venus, Oscar et Fersen avaient réussi à quitter les lieux sitôt le Duc et son complice évaporés par les labyrinthes de la demeure. Les poursuivre était inutile, puisque seuls les mystérieux documents importaient désormais. Mais ils avaient attendu longtemps encore dans leur cachette pour être sûrs de ne pas être repérés, redoublant encore de prudence à travers les ruelles sombres d’Orléans pour regagner leur auberge.
Une heure en tout à échafauder mille hypothèses, imaginer les plus folles théories et leur contraires.
Oscar n’en pouvait plus d’attendre, les questions prêtes à fuser au bord des lèvres. Et comme s’il les pressentait, les devinait avant même de les entendre, le Comte saisit aussitôt la jeune fille par le bras quand ils regagnèrent la bruyante beuverie habituelle de cette salle bondée.
 
_ « Venez Jarjayes … » murmura t-il en l’entraînant sans attendre vers l’étage. Puis ajouta gravement dès qu’il eût refermé la porte de la chambre de la jeune fille: « je vous dois quelques explications il me semble… »
Furieuse, Oscar fit quelques pas et se retourna violemment vers lui.
 
_ « Il me semble aussi, en effet ! Mais Bon Dieu qu’est-ce que c’est que toute cette histoire, où nous avons été ridiculisés depuis le début !! Pourquoi le Duc de Broglie vous a choisi, pourquoi connaissez-vous si bien les symboles de ce rite ignoble ! Qui êtes-vous Fersen, qui êtes-vous vraiment !!! »
Comme souvent il ne répondit pas tout de suite, considéra un instant l’océan déchaîné de ces prunelles d’écume scintillant doucement dans l’obscurité. Il prit le temps d’allumer les chandelles, revint contre le mur pour s’y appuyer de son élégante nonchalance. Et soupira.
_ « Avant toute chose, laissez-moi vous expliquer plus complètement le rite auquel nous venons d’assister. Je sais qu’il vous a profondément bouleversé… »
Elle sentit monter son trouble au souvenir de sa faiblesse, de tout ce qu’elle avait ressenti surtout quand elle s’était laissée aller contre lui.
 
_ « Comment pouvait-il en être autrement ! » jeta Oscar avec toute l’agressivité dont elle fut capable, « c’était abjecte ! Révoltant ! »
_ « Il ne faut pas voir les choses de cette façon. Je vous l’ai dit, il y a une dimension allégorique et spirituelle à cela et c… »
_ « Spirituelle ?! M…mais comment osez-vous dire une monstruosité pareille ! C’était un viol Fersen, un viol ! Sur une enfant ! »
Il la voyait trembler à nouveau, de dégoût. De rage aussi certainement, contre elle-même, pour n’avoir su se maîtriser comme elle le faisait toujours avec ce courage hors normes qu’il commençait à bien connaître. Indomptable. En surface plus dure et froide qu’un acier, mais cachant la fragile pureté d’un cœur de cristal. Si douce lorsqu’elle avait été contre lui, …non. Il ne devait pas penser à elle de cette façon. Il n’éprouvait rien.
Rien.
 
_ « Vous vous trompez Jarjayes: ce n’était pas une enfant. Pas…précisément, devrais-je dire. En vérité les Illuminatis détiennent un savoir remontant à la Haute Egypte, dont les symboles maçonniques sont le reflet comme je vous l’ai dit. Mais leurs connaissances ne s’arrêtent pas au domaine abstrait des signes et de l’ésotérisme, ils se servent également des principes connus et appliqués par les prêtres adorateurs du dieu Anubis, le dieu des Morts. L’embaumement, la science des poisons et des contrepoisons, l’étude médicinale des simples sont des champs d’action qui leur sont familiers. Ce savoir est d’ailleurs commun à toutes les loges maçonniques européennes.
Mais les Illuminatis eux, de par leur doctrine satanique dévoyée, n’utilisent cette sagesse ancestrale qu’à des fins perverses. N’hésitant pas à contrecarrer la nature si besoin est, pour servir leur cause démoniaque.
Voilà pourquoi le rapt de très jeunes enfants est chose courante au sein de cette confrérie, afin de pouvoir pratiquer sur eux des…expériences scientifiques. »
 
Oscar vacilla, les yeux révulsés d’horreur.
_ « Vous…vous mentez ! » balbutia t-elle, le dévisageant lui aussi comme s’il fut le Diable.
Il secoua la tête, le cœur à l’envers de devoir lui imposer pareilles révélations. Mais il le fallait. Elle devait savoir. Jusqu’à un certain point tout du moins.
Sa voix se fit très douce, une sourde envie le tenaillant de la prendre dans ses bras pour calmer ses spasmes.
_ « Non Oscar. Hélas non. Pardonnez-moi de vous dire des choses si terribles, mais il est essentiel que vous compreniez bien à qui nous avons à faire et quelle est la nature exacte de notre ennemi. Je conçois qu’il serait plus « confortable » pour vous d’ignorer tout cela, mais vous avez droit à la vérité, si dure fut-elle à entendre. »
 
Insensiblement il la vit se raffermir, ses mots avaient fait mouche. Plus que tout elle voulait savoir.
Bien.
_ « Voyez-vous Jarjayes, la base même de l’idéologie Luciférienne est la « pureté » de la race humaine, exempte des corruptions corporelles qu’apportent maladies et vieillesse entre autres. Aussi, certains Illuminatis recrutés parmi le corps médical ont pour mission de comprendre les mécanismes du corps humain afin d’atteindre un jour le savoir suprême, la connaissance ultime : posséder le pouvoir de ralentir les méfaits du temps et offrir la jeunesse éternelle à leurs adeptes. »
_ « Mais c’est de la folie ! » s’exclama Oscar, épouvantée. « Et lorsque vous dites qu’ils veulent comprendre les mécanismes du corps humain, vous…v…vous voulez dire…que… »
Evidemment qu’elle n’osait continuer. C’était si monstrueux.
_ « Oui Oscar. Bon nombre d’enfants sont effectivement tués et disséqués pour assouvir cette folie. »
 
Avec un gémissement révulsé elle se détourna, fit quelques pas jusqu’à la fenêtre pour masquer son haut-le-cœur. Très lentement il s’approcha de la fragile silhouette encore enveloppée par la sombre houppelande, voulut si fort la prendre contre lui pour que cessent les soubresauts des épaules qu’il devinait fragiles, trop frêles pour supporter d’un coup l’hideuse vérité. Il se maîtrisa encore, serra les poings pour résister à la tentation de sentir de nouveau la chaleur de son corps contre le sien.
_ « Si je vous raconte tout ceci, c’est pour vous expliquer que la jeune fille que vous avez vu lors de ce rite n’était pas une enfant, mais le fruit des connaissances acquises à travers les expériences de ces monstres. En fait une jeune femme de vingt et un ans dont on a stoppé volontairement la croissance. »
 
Elle ploya la tête, accablée. Une réalité odieuse disparaissait, remplacée par une autre plus terrible encore.
_ « Ce n’est pas possible…pas possible… »
La prendre, tout contre lui.
 
_ « Voilà pourquoi je vous disais que tout ceci a valeur de symbole. » poursuivit le Comte, obstinément figé à quelques pas. « Le chiffre 12 traduit la réalisation de la triade divine, le 21 en est sa valeur inversée, satanique. Mais l’extrême jeunesse est elle aussi importante au niveau ésotérique, son opposition avec la vieillesse illustrant la parabole de la pureté s’unissant à la sagesse. L’osmose du ying et du yang, l’ombre n’existant que par la lumière. Voilà également pourquoi cette jeune fille était imberbe, son corps vierge de tout corruption tant physique que psychique pour pouvoir s’unir à un Argenturs. Ce sera d’ailleurs la seule relation charnelle qu’elle aura de toute sa vie. Désormais, elle est « consacrée » par la marque de Satan, et tout homme est tué sur-le champ s’il s’avise à la toucher.»
 
Il vit les soubresauts se calmer, la silhouette se redresser aussi fièrement que de coutume pour se tourner vers lui. Et le regard, certes bouleversé, mais tout aussi lumineusement perçant que de coutume.
_ « Mais…qui êtes-vous pour savoir ces choses… » articula t-elle, comme le voyant pour la première fois.
 
Tout aurez été si simple. Quelques pas et plus besoin de mots, d’explications, de doutes. Marcher vers sa blondeur, cette aura qu’elle dégageait sans même s’en rendre compte. Si simple d’aller vers cette lumière et de s’y réchauffer. Mais il ne pouvait succomber à cette dangereuse tentation. Il n’en avait pas le droit, ne l’aurait jamais surtout.
Il fallait trouver un moyen. Même si celui-ci devait lui tordre très légèrement le coeur.
Reprendre le cours des choses et la provoquer, comme il l’avait fait si souvent. Jouer.
Mais ce qui le souciait un peu tout de même, c’est qu’il n’était plus très sûr de vouloir gagner face à elle.
 
 
_ « Qui je suis ? » reprit-il cependant d’un ton léger, un demi sourire au lèvres. « Personne. Ou plutôt…un homme ayant choisi l’ombre il y a bien longtemps. De toute façon cela n’a aucune importance : nous avons un problème, Jarjayes : ce bal.»
Bien joué, elle reprit aussitôt empire sur elle-même et perdit ce regard fragile qui remuait bien des choses en lui.
_ « Quoi ce bal, où est le problème ! Nous allons bien trouver un moyen de nous y faire inviter, si c’est cela qui vous soucie. »
_ « Pas nous, je. Vous, vous n’y allez pas. »
_ « QUOI ?! »
Excellent ! elle fulminait. L’ennui c’est qu’elle était encore plus jolie ainsi…
_ « Vous oubliez une chose, Jarjayes. Le Chancelier Maupeou y sera, et il vous connaît. Moi par contre, il ne m’a jamais vu. Vous comprenez à présent ? Vous allez donc rester ici demain, et m’attendre bien sagement. »
Il tourna les talons, accentuant ses manières souriantes et désinvoltes pour se libérer de son incroyable emprise. Il entendit avec plaisir la voix courroucée.
_ « Fersen ! Bon sang mais pour qui vous prenez-vous ! Il n’est pas question que je reste ici sans rien faire, vous m’entendez ? Et je vous interdis de me donner des ordres !! »
Il ouvrit la porte, envoya un éblouissant sourire par-dessus son épaule.
_ « Sans rien faire ? Mais dites-moi… un certain bas de laine n’aurait-il pas besoin d’être un peu reprisé par hasard ? Cela vous occupera… »
_ « FERSEN !!!!! Alors ça vous me le paierez !!! »
 
Ayant évité de justesse un broc qui traînait sur la table, il regagna rapidement sa chambre. Ferma les yeux en écoutant les jurons qui se déversaient tant et plus à côté, ne souriant plus du tout.
Lumière et ombre…symbole de leur deux personnalités désormais. N’existant que l’une par l’autre mais ne se rencontrant jamais.



préc.          suiv.
 
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