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 rozam blog

Chapitre 4. Un homme, un vrai

30 Juin 2010 , Rédigé par rozam

 


Mais de quel droit un sujet de Sa Majesté, fut-il agent secret, pouvait se permettre un tel comportement !

Cette interrogation Oscar ne cessa de se la poser bien après qu’ils fussent tous sortis du bureau du Chancelier.
Estomaquée par ce qu’elle venait d’entendre, la jeune fille dut quand même reconnaître qu’elle éprouvait également beaucoup de colère : elle, toujours si fidèle à ses engagements, à l’autorité royale et paternelle, à ses devoirs…comment oser agir ainsi ? Voilà qui la dépassait.
Pour être tout à fait honnête, elle fut presque heureuse que Girodel revînt aussitôt à la charge avec ses fines allusions concernant son « secret ». Ah bon sang elle allait tirer cela au claire, et tout de suite : excellent pour évacuer sa mauvaise humeur !

Elle ne compris absolument rien à ses explications, très embrouillées à vrai dire, où il ressortait globalement que ce mystérieux espion était une sorte de Don Juan effréné prêt à sauter sur le premier joli minois venu. Il venait d’ailleurs d’en donner la preuve. Et alors ! Qu’avait-elle à y voir là-dedans !

Mais lorsque Girodel lui dit que cela avait à y voir précisément parce qu’elle était une f…, bizarrement son poing atterrit dans la figure de son Lieutenant avant qu’il n’ait pu prononcer le mot fatidique.

Ce n’était peut-être pas très malin de lui casser la figure en plein couloir royal mais Dieu, cela faisait foutrement du bien tout de même !

L’esprit un petit peu calmé, Oscar repartit sans attendre assumer sa charge auprès de la Dauphine qu’elle retrouva occupée à l’ouvrage d’une magnifique tapisserie d’Aubusson, tout près d’une des hautes cheminées de ses appartements.

Comme à son habitude, la future reine l’accueillit avec le plus beau des sourires.

_ « Capitaine ! Je désespérais de vous voir revenir un jour ! Vous avez été bien long…mais que vous arrive t-il mon ami, vous avez l’air soucieux. Auriez-vous quelques contrariétés ? »
_ « Peu de chose, Majesté. Rien qui puisse mériter de vous importuner avec cela. »
_ « Ah, comme il vous plaira ! » rit Marie-Antoinette.  « J’ai appris à vous connaître depuis quatre ans, savez-vous ? Et je sais qu’il est parfaitement inutile de vous forcer à la confidence lorsque vous affichez cette sombre mine. Mais allons ! Parlons de choses gaies justement ! »

Joignant le geste à la parole, la jeune femme se leva vivement dans le chatoiement de sa robe de soie rose pâle, et avec toute la fougue juvénile dont elle avait parfois le secret capta la main d’Oscar pour l’attirer un peu en retrait.

_ « Et bien puisque vous avez l’air beaucoup trop morose à mon goût, j’ai là de quoi vous redonner le sourire. Savez-vous où je compte me rendre ce soir ? »
Oscar ne voyait pas bien en quoi une sortie imprévue de la Dauphine devait la mettre en joie et secoua négativement la tête, plutôt méfiante au contraire.

_ « Au bal, Capitaine ! Ce soir, je vais au bal de l’Opéra. Et vous allez m’y accompagner !» chuchota la jeune femme, une flamme d’excitation avivant déjà ses yeux myosotis.

Ceux d’Oscar s’agrandirent d’indignation.
_ « Majesté ! Mais vous n’y pensez pas ! C’est de la folie !» s’écria t-elle spontanément, sans se soucier de dissimuler sa désapprobation la plus vive.
_ « Shhhhhh, parlez plus bas je vous prie ! »

Marie-Antoinette se précipita pour fermer soigneusement les portes entrouvertes du petit salon où elles se tenaient, afin de barrer toute curiosité malvenue de la part des caméristes allant et venant à côté.
_ « Majesté ! » reprit Oscar en baissant d’un ton mais incapable de se contenir davantage. « pardonnez ma franchise qui vous semblera peut-être brutale mais je vous le répète, c’est folie que de vouloir vous rendre à cette soirée ! »

Très surprise, la Dauphine se retourna vers le délicat mais résolu visage qui lui faisait face
_ « Grand Dieu, et pourquoi donc je vous prie ? »
_ « Et bien, Votre Majesté… je puis vous assurer que le Bal de l’Opéra est loin d’être aussi amusant qu’on le dit, voilà pourquoi ! Ce n’est souvent l’occasion que de cohues étouffantes où se côtoient des personnes aux mœurs plus que douteuses, des femmes entretenues appartenant à la petite noblesse, des bourgeoises de province qui viennent là s’encanailler… »
_ « Et bien Capitaine, vous m’avez l’air singulièrement au courant dites-moi! » observa la Dauphine, l’œil mutin. « auriez-vous déjà fait quelques ravages auprès de ces dames, par hasard ? »
_ « Majesté !» protesta Oscar, agacée puisque la Dauphine connaissait parfaitement sa nature de femme. Mais bon sang de bois, qu’avaient-ils donc tous aujourd’hui à la titiller plus ou moins finement sur ce sujet ?

La jeune fille poursuivit, ne pouvant empêcher sa mauvaise humeur de tout à l’heure de reconquérir du terrain.
_ « Permettez-moi de vous rappeler que c’est mon métier que de savoir ce qui se passe dans ce genre d’endroit, Votre Majesté ! Je suis attaché à votre sécurité, ne l’oubliez pas, et ces bals sont souvent le prétexte à répandre toutes sortes de calomnies sur la famille royale ! Aussi que va-t-on dire si l’on apprend que vous y avait fait une apparition ? »

Marie-Antoinette fit la moue comme une petite fille prise en faute et alla se rasseoir sur l’un des canapés jouxtant son ouvrage.
_ « Capitaine, vous n’êtes décidément pas drôle ! Vous voyez le mal partout. »
_ « Mais parce qu’il y est, Votre Altesse ! Oubliez-vous l’animosité que nourrit Madame du Barry  à votre encontre ? Avez-vous seulement songé que si son entourage a connaissance de cet amusement que vous jugez bien innocent, demain toute la Cour ne sera que moquerie à votre égard !»
L’argument devait avoir porté pensa Oscar, quand elle vit la future souveraine se lever, la mine sombre.

_ « Madame du Barry…Cette traînée, oui ! Ha, il ferait beau voir que cette créature s’avise à me donner des leçons de maintien…» La Dauphine se retourna vivement vers la jeune fille. « Pas un jour sans qu’elle ne dissèque le moindre de mes gestes, la moindre de mes paroles ! Savez-vous ce que cette vipère a encore inventé ? Elle a soudoyé l’une de mes caméristes pour m’espionner jusque dans mes appartements privés ! Et bien moi j’en ai plus qu’assez, Capitaine ! J’étouffe ! Aussi ce soir je veux m’amuser, oui m’amuser, et oublier l’espace d’un moment cette Cour et son étiquette qui me donne parfois le sentiment de n’être qu’une prisonnière au Royaume de France ! »
_ « Mais Majesté ! Mon devoir est de… »
Avant qu’elle ne puisse poursuivre, Marie-Antoinette était revenue vers elle, légère, fantasque, irrésistible.
_ « Oh, je vous en prie Oscar, plus un mot ! » murmura t-elle de manière enjôleuse en lui reprenant la main. « Je veux aller à ce bal, quoi qu’il m’en coûte ! Mais…tenez, pour vous tranquilliser un peu, il me vient une idée : abandonnez votre uniforme et revêtez donc une tenue civile. Ainsi personne ne pourra me reconnaître ni me désigner à cause de vos insignes de Capitaine de la Garde. Ce soir c’est la nuit des Masques, Capitaine ! Un bal masqué…est-ce que cela ne va pas être follement amusant ? »

Si il y avait bien une chose qu’Oscar détestait plus que tout, c’était les masques…

C’est en tout cas ce qu’elle concrétisa quelques heures plus tard, lorsqu’elle balança rageusement la selle de sa monture dans l’écurie du domaine des Jarjayes.

_ « Et bien Oscar… » grogna André en ramassant l’innocente victime des fureurs de son amie, « je ne crois pas me tromper en devinant que tu as eu une journée épouvantable… Veux-tu me dire ce qui se passe ? »

Le jeune homme alla tranquillement ranger la selle et les harnais de cuir, puis revint s’adosser contre une des stalles pour regarder Oscar aller et venir d’un pas furieux. La jeune fille avait l’air hors d’elle en effet et parlait entre ses dents, plus pour elle-même que par souci d’être comprise.

_ « Un bal…il ne manquait plus que ça ! Après cet autre énergumène qui joue les courants d’air ce matin, ce bal stupide venant couronner le tout ! Sans parler de Girodel et de ses… »
Oscar s’arrêta net et darda un regard flamboyant sur la silhouette appuyée non loin.
_ « André ! Puis-je te poser une question ! »
_ « Evidemment… » répliqua prudemment le jeune homme face à cette demande qui tenait plus de la déclaration de guerre.
_ « Me trouves-tu virile ? »
_ « HEIN ?!... »

Une chose qu’André ne pouvait dénier à son amie, c’est qu’avec elle il était sûr de ne jamais s’ennuyer. Mais qu’est ce que c’était encore que cette histoire !

_ « Réponds-moi franchement, André ! » s’énervait la jeune fille. « Imagines que tu ne me connaisses pas, que tu me rencontres par hasard…Bon, et bien ! Que penserais-tu ! Me prendrais-tu sans hésiter pour un homme ?»

André se gratta la tête, ayant la très désagréable impression que quelque soit sa réponse elle serait mauvaise.
_ « En fait…ou…i, je crois, oui. »
_ « Tu crois, ou tu en es sûr ! »

Les choses se compliquaient.
Eh bien vaille que vaille…puisqu’elle souhaitait la franchise…

_ « Pour parler vrai… » hésita André, « il est certain que pour un garçon tu n’es pas très développée… »
_ « Comment ça, pas très développé ! » s’étrangla t-elle, « bon sang de foutre mais ça veut dire quoi, ça ! »
_  « Oh ! Baisse d’un ton, tu veux ? » s’énerva à son tour le jeune homme, qui n’avait jamais été impressionné par ce caractère pour le moins…difficile. Au contraire même, car dans ces cas-là cela finissait invariablement en échange de coups de poing ce qui n’était pour déplaire ni à l’un ni à l’autre. « J’essaye de te répondre avec sincérité, c’est bien ce que tu voulais, non ? Alors puisque tu veux savoir, en tant qu’homme tu n’es pas très musclée, voilà ! »

Evidemment, pour Oscar c’était là l’injure suprême, celle qui la mettait le plus en fureur parce que rigoureusement exacte.
_ « Bon ! Passons ! » fulmina t-elle de plus belle. « Et ma démarche, comment est-elle ! »
_ « Ta démarche… »
_ « Oui ! Est-elle virile ? Réponds ! »
_ « Mais enfin vas-tu me dire à quoi rime toutes ces questions ? »
_ « Réponds, te dis-je !!! »

Et Oscar de marcher avec les grâces d’un paysan polonais allant labourer ses champs.

_  « Oscar…».
_ « Ne me dis pas que je ne suis pas masculine quand je marche de cette façon, tout de même ! » dit-elle au bout d’une seconde.
_ « Oscar… »
_ « Quoi !! »
André hocha la tête, prenant le ciel à témoin.
_ « Tu ne marches jamais de cette façon… » lâcha t-il, patient.


La jeune fille le regarda d’un œil noir et soupira, excédée, mais consentit à reprendre son allure habituelle, ce pas délié et souple qui était le sien, la rendant presque féline sans même qu’elle en eût conscience.
_ « Alors ? »
_ « Refais-moi ça, je te prie… » ne put s’empêcher de dire André, pour le seul plaisir de revoir un discret mouvement de hanches dont il n’avait jamais remarqué à ce jour l’harmonieux attrait.
_ « Et voilà, je le savais !!» cria brutalement Oscar, avec une vigueur qui fit sursauter et revenir à la réalité son compagnon.
_ « Bon, qu’est-ce qu’il y a encore…» marmonna ce dernier.
_ « Je suis ridicule ! Tu me trouves ridicule, c’est ça ? Avoue !»
_ « Hein ?! Mais je n’ai rien dit ! »
_ « Et ce sourire idiot que tu viens d’avoir à l’instant ? Tu croyais que je ne le remarquerai pas, peut-être ? Tu te moques de moi n’est-ce pas, tu me trouves risible, tout comme Girodel ! Hah, et bien tu vas voir ! Vous allez tous voir ! Je vous montrerai, moi, que le Capitaine Oscar François de Jarjayes est un homme, un vrai, bien plus viril que vous tous réunis !!! » et elle partit se préparer pour le bal comme on irait à la guerre.


Selon les propos du Duc de Lévis, l’un des hommes les plus spirituels de son temps, l’Opéra était une sorte de grosse chose faite de carton, de bois et de cire qui prenait feu avec une consternante régularité tous les cinq ans.
Sous d’énormes lustres à cent bougies, invention récente nettement moins puante que les chandelles, se pressait ce soir-là une véritable foule déguisée pareillement d’un loup de velours, noir pour les hommes, gris perle pour les dames, tous unis dans les plaisirs faciles de la danse et du champagne illustrant si bien le règne de Louis le Bien-Aimé.

Comme l’avait décrit Oscar la grande et petite noblesse de province se mélangeaient dans la confusion la plus totale, pour ne pas dire l’anarchie, la jeune fille ne pouvant s’empêcher de couver d’un œil contrarié ce qu’elle considéra très vite comme un vaste foutoir.
Postée un peu en retrait et vêtue d’un strict costume masculin, agrémenté d’un loup noir comme il se devait, elle ne perdait pas un instant de vue les menuets que la Dauphine ne cessait d’accorder avec une monotone frénésie.
Toujours le même rituel : l’inconnu présentait le poing et la jeune femme d’y poser sa main ouverte pour un pas, trois pas, un demi coupé-échappé et trois pas encore…

Pour tromper son monde, Marie-Antoinette avait choisi les délices d’une toilette bleu pâle, très simple de facture mais contrastant agréablement avec la perruque d’un blanc pur ornée de quelques roses de soie. On pouvait certes la prendre pour ce qu’elle n’était pas, c’est-à-dire pour une jeune noble tout ce qu’il y avait de quelconque et d’anonyme, mais Oscar doutait beaucoup que l’illusion ne perdure éternellement, à cause du maintien plus qu’aristocratique de la jeune femme justement.

Aussi lorsque cette dernière vint prendre un peu de repos et d’air frai sur l’un des balcon, Oscar respira plus librement également, songeant qu’il était temps de convaincre la Dauphine de se retirer le plus discrètement possible.

_ « Votre Maje…Madame, » chuchota t-elle tout bas tout en surveillant la salle de bal, « il nous faut rentrer à présent. Certains convives commencent à être pris de boisson et il n’est guère prudent de s’attarder désormais. »
_ « Ah Mon Dieu, mais quelle chaleur ! » s’éventa Marie-Antoinette, comme si elle n’avait entendu l’injonction. « J’ai bien cru qu’aucun de ces fringants cavaliers ne me laisseraient un moment de répit pour reprendre mon souffle ! »
_ « Madame, je… »
_ « Quel bal, Capitaine, quel amusement ! Et vous qui faites toujours aussi triste mine ! Vous avez bien tort de ne pas avoir invité quelques demoiselles…savez-vous que j’en ai vu certaines vous dévorer littéralement des yeux ? »
_ « Majesté ! » protesta Oscar, à voix basse pour continuer de ne pas attirer l’attention mais essayant d’endiguer la joyeuse hilarité de sa souveraine par ses airs sévères.

Peine perdue, la Dauphine semblait décidément déterminée à profiter de sa soirée de liberté de la plus folle des façons.
Elle avait remis son petit domino de satin bleu sur ses épaules car l’air était particulièrement vif en cette fin janvier, et l’excitation due au plaisir de la danse avait rosi ses joues qui ne se laissaient que mieux deviner sous le masque, la rendant bien charmante en vérité.

Et c’est ce qui précisément inquiétait Oscar, quand elle vit nombres de messieurs lorgner ostensiblement dans leur direction. La jeune fille se détourna de la salle afin de parler plus fermement à la Dauphine.

_ « Majesté, ce n’est plus le Capitaine de la Garde qui vous parle mais l’ami. Rentrons, je vous en conjure. »
Un peu surprise par la solennité de ce ton grave Marie-Antoinette releva ses yeux myosotis, aperçut toute la tension qui agitait ceux couleur d’océan…et acquiesça enfin, résignée à redevenir fidèle à ses devoirs.

_ « Evidemment Capitaine, vous avez raison. Le beau rêve est donc fini…ah qu’il aura été doux pourtant de songer que le temps d’une danse, je fus libre d’être moi-même… »

Elle allait se retourner lorsqu’une voix chaude et grave s’éleva, une voix aux inflexions caressantes tissées de sombre velours, extrêmement sensuelle et presque chantante de par une pointe d’accent au charme indéfinissable.

_ « Madame ! Souffrez que je dépose à vos pieds l’expression éblouie d’un hommage ardent face à votre beauté sans pareille. Une beauté qui pour mon plus grand malheur ne se laisse qu’entrevoir sous ce masque odieux. Aussi Madame ne soyez pas cruelle, ôtez ce voile, et laissez moi ne fut-ce qu’un instant contempler l’éclat rayonnant de vos yeux dont je suis déjà l’esclave ! »

Faisant immédiatement volte face, Oscar se mit d’instinct devant la Dauphine comme pour mieux la protéger d’un terrible danger.
Voilà ce que la jeune fille avait redouté durant toute la soirée, et ses craintes se réalisaient au moment même où elle pensait en avoir fini avec ce maudit bal !

Elle crispa le poing, prête au combat.

Car terrible, ce danger se dressant devant elle l’était en effet.

Et même bien pire : terriblement séduisant pour dire vrai…



 

 

préc.        suiv.

 

 

 


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