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 rozam blog

Chapitre 5. Une rencontre explosive

30 Juin 2010 , Rédigé par rozam

 


Comme ramassée sur elle-même, Oscar marcha sans hésiter vers l’inconnu et se planta devant lui à quelque distance, le regard lourd.

_ « Votre audace frise la goujaterie Monsieur, d’aborder ainsi cette dame sans y avoir été invité. La boisson vous aura brouillé l’esprit, sans doute ? Je ferais donc comme si je n’avais pas entendu votre discours ridicule…mais si vous ne partez pas dans la seconde je puis vous assurer que je vais très vite vous faire passer l’envie de recommencer ! »


Tout autre aurait certainement obtempéré devant la menace à peine voilée de goûter à l’épée sur laquelle la jeune fille venait de poser la main.

Tout autre…hormis cet inconnu apparemment. Il ne bougea pas d’un pouce, ne regarda même pas Oscar d’ailleurs, ses yeux résolument fixés sur la Dauphine qui se tenait toujours en retrait.


Dès le premier coup d’œil Oscar devina à qui elle avait affaire : à n’en pas douter un séducteur, espèce pullulant à foison dans ces lieux de divertissements ; non pas un séducteur de bas étage toutefois, et c’était bien là le problème.

Car impossible de nier la prestance et la haute mine de l’individu, de celles qui attirent et chavirent immanquablement tous les coeurs féminins : savant mélange de force virile et d’aristocratique élégance, un charme plus qu’évident bien que voilé par le loup de velours noir laissant filtrer le regard clair, moqueur, sûr de soi et de son pouvoir d’attraction. D’une distinction remarquable, habillé sans ostentation d’une veste noire soutachée d’or admirablement coupée, rendant pleine justice à une carrure capable de faire fondre d’envie tous les marbres grecs

Grand bien sûr mais pas seulement par la taille, par l’assurance de son maintien également n’indiquant que trop l’homme du monde, celui sans nul doute habitué à fréquenter les meilleurs cercles d’influences. Un proche de la famille royale ?


Peut-être…mais son accent… Non, il ne pouvait s’agir ni d’un familier ni d’un courtisan songea Oscar dont le regard exercé n’en avait jamais capté la silhouette à Versailles auparavant ; malgré tout, il était plus que probable qu’elle se retrouvait face à un personnage d’importance.

Difficulté supplémentaire pour l’envoyer au diable sans créer d’incident politique ou diplomatique…

Et puis qu’importe après tout!


L’anonymat de la Dauphine était en jeu, et la jeune fille prête à tout pour sauver l’honneur de sa souveraine.


Elle fit un pas de nouveau.

_ « M’auriez-vous mal compris, Monsieur ? Votre cas est donc plus grave que je ne le pensais : en plus d’être ivre vous êtes sourd apparemment ! Prenez garde, car j’ai là un excellent remède pour soigner ce genre de maladie !».

A sa profonde surprise l’inconnu avança avec la plus parfaite décontraction, sans même sembler la remarquer, ni elle ni l’air menaçant qu’elle avait pris pour faire mine de dégainer son arme.

La voix toujours aussi caressante et calme il reprit la parole, ne détachant pas ses regards de Marie-Antoinette.


_ « Madame…plus je vous regarde, et plus votre beauté m’ensorcelle autant qu’elle me désespère. Je ne puis désormais vivre sans pouvoir en contempler le captivant éclat…aussi ayez pitié de mon âme et ôtez ce rempart qui la protège encore de mes regards éblouis ! »


Suffoquée, Oscar sentit clairement la colère monter en elle: non seulement ce butor continuait impunément son petit jeu de séduction, l’accentuait même, mais il faisait exactement comme si elle et ses menaces n’existaient pas. Ah, il voulait jouer à cela! Très bien, il allait être servi !


_ « Maintenant il suffit, Monsieur! » s’exclama Oscar sans plus se soucier de discrétion, tâchant de redresser fièrement sa taille pour faire face à celle nettement plus imposante de ce détestable individu. « Puisque apparemment vous ne comprenez rien au langage de la plus élémentaire galanterie en vous retirant sur-le-champ, je vais vous montrer m… »

_ « Poussez-vous donc mon garçon, vous êtes gênant. »


Avec une élégante désinvolture l’inconnu contourna Oscar, coupant d’une totale indifférence le flux impétueux de ses paroles.

Les yeux de la jeune fille s’agrandirent de fureur en le voyant se diriger vers la Dauphine. Elle repartit en arrière pour de nouveau lui barrer la route et protéger la future souveraine qui commençait à montrer quelques signes de nervosité.


_ « Monsieur ! » cria Oscar presque sous le nez de l’homme qui la dépassait d’une large tête, « vous êtes vraiment fou ma parole ! Et redoutablement mal élevé ! Vous allez payer cher votre impudence, vous pouvez m’en croire ! »

Pour la réelle première fois l’inconnu détourna son attention et abaissa enfin son regard vers elle, de manière extraordinairement condescendante à l’image d’un sourire, léger, narquois.


_ « Et bien mon petit, un problème ?  Vous avez fini de pousser vos cris d’orfraie qui je n’en doute pas, commencent singulièrement à importuner cette dame ? Allez donc jouer les jeunes coqs un peu plus loin et trouvez-vous une péronnelle pour lui débiter vos fadaises de gamin. L’amour est une chose sérieuse mon garçon à laquelle vous n’avez l’air de rien comprendre, ce qui est normal vu votre jeune âge… »


Et sur un hochement de tête volontairement apitoyé, il écarta Oscar d’une main ferme pour cette fois venir tout près de la Dauphine continuer ses beaux discours.


Il ne se retourna même pas lorsque le bruit d’une lame fendit l’atmosphère, ne broncha pas davantage sous la voix tranchante de la jeune fille.

_ « Vous l’aurez voulu Monsieur. En garde ! Un pas de plus et je vous embroche ! »

_ « Oui, oui…plus tard… » lâcha t-il négligemment, sans obéir bien entendu.


Oscar n’en revenait pas.


Elle n’avait jamais rien vu de pareil ! Cette insolence, l’assurance qu’il affichait, la traitant de « gamin » pour mieux la narguer ! Il avait pourtant l’air jeune lui aussi, mais pourvu de ce qu’Oscar détestait par-dessus tout, cette multitude de muscles si ouvertement masculins et virils. Ce que la Nature lui refusait, obstinément…

Mais bon sang de foutre elle aussi était un homme ! Elle l’avait assez clamé à André, et allait immédiatement le prouver à ce faquin ! En quelques pas furieux elle interposa son arme entre la Dauphine et ce dernier.


_ « Oh…encore vous ? » s’exclama t-il, agacé mais affichant toujours son insupportable demi-sourire. Puis se tournant vers Marie-Antoinette, plus charmeur que jamais. « Madame, ne pourriez-vous dire à ce jeune roquet de nous laisser tranquilles ? Je ne puis croire que vous lui trouvez un intérêt quelconque alors qu’une femme telle que vous mérite infiniment mieux… »

_ « Comme vous, par exemple ? » persifla Oscar. « Car a n’en pas douter vous vous trouvez irrésistible, charmant, spirituel n’est-ce pas ? Et bien laissez-moi vous dire ceci : vous en êtes si intimement persuadé en effet, que vous en êtes puant !!! »


Dans le feu de l’action Oscar n’avait pas bien mesuré sa fougue.

Mais l’injure était lancée maintenant, et elle était considérable.

Insensiblement la physionomie de l’homme changea : il reporta sans hâte son regard sur celle qu’il avait qualifié de jeune roquet, plus aucune trace d’amusement dans ses yeux clairs.


_ « Mon cher petit Monsieur, » gronda t-il sourdement, « je n’ai pas pour habitude de m’entendre dire ce genre de sornette devant une aussi ravissante jeune femme. Aussi je vais répondre à vos attentes de blanc-bec : un duel ! C’est bien cela que vous voulez, n’est-ce pas ? Fort bien ! Demain sept heures, en lieu et place qu’il vous plaira ! Cela vous convient-il ?»


Oscar était plutôt désarçonnée par tant de détermination mais n’en laissa rien paraître. Elle releva le nez, effrontée.


_ « Parfait Monsieur ! Demain en effet, non pas à sept mais à huit heures, au Carré des Dames. C’est une des clairières du bois voisinant le palais de Versailles, voulez-vous que je vous en indique le chemin ? » ne put-elle s’empêcher de se moquer.


_ « Merci pour votre sollicitude mais je trouverai ! » grimaça t-il dans un sourire méprisant. « Huit heures dites-vous ? Auriez-vous déjà peur ? Mourir aux premières heures de l’aube a pourtant bien des attraits ! »


Oscar crispa ses mâchoires, folle de rage devant l’incroyable assurance dont il usait. Evidemment elle ne pouvait lui avouer qu’à sept heures elle prenait ses fonctions de Capitaine de la Garde Royale… mais lui laisser croire qu’elle le craignait, ah ça non !


_ « Peur ? De vous ? Mais vous rêvez ! » ricana t-elle froidement. « Je tiens simplement à ce que le soleil soit assez haut, pour que vous ne puissiez dire avoir été aveuglé quand ma lame vous embrochera ! »

_ « C’est très aimable à vous même si c’est exactement le contraire qui va se produire. L’illusion fait vivre dit-on, aussi bercez-vous de celle-ci pour le peu d’heures qui vous restent. Bon, vous avez eu ce que vous désiriez ? Alors laissez-nous ! »


Puis se tournant sans transition vers la Dauphine, tous charmes dehors de nouveau. « Madame, pardonnez cette ridicule altercation totalement indigne d’une dame aussi belle que vous l’êtes. Mais que voulez-vous, ces bals sont toujours si mal fréquentés…on ne peut décidément éviter d’y rencontrer des spécimens déplaisant et sans éducation. C’est ainsi. Mais trêve de bavardage : Madame, à présent laissez-moi vous ôter ce masque je vous en conjure ! Car désormais seuls vos yeux peuvent guérir mon âme, une âme qui se meurt depuis que je vous ai aperçu ! »


Marie-Antoinette, qui avait pris grand soin de rester parfaitement silencieuse jusque là, ne put retenir un léger cri à cet instant. Sans plus de façon l’inconnu étendait déjà la main, prêt à subtiliser l’étoffe de velours gris…quand il suspendit son geste, brusquement, le regard lentement abaissé.


Cette fois ce n’était plus des mots qui venaient de le dissuader de poursuivre.

Mais une lame, s’enfonçant doucement dans ses côtes.

Affolée, la Dauphine se dégagea du balcon de pierre tandis qu’Oscar tenait en joue l’inconnu et le privait de toute initiative pour la suivre.


_ « Partez Madame ! Je me charge de lui…» dit la jeune fille à sa souveraine, cette dernière s’éclipsant aussitôt pour rejoindre ses gens qui l’attendaient à l’extérieur .


Dès qu’elle fut seule, Oscar envoya à son adversaire toute la vague assassine de ses yeux d’océan.


_ « Eh bien Monsieur !, vous avez eu grand tort de prendre mes menaces à la légère ! C’est là un grave défaut, qui je suis sûr vous sera fatal lors de notre affrontement, demain »


Sans savoir pourquoi la jeune fille ne pouvait empêcher une incroyable fureur s’emparer de son être.

Elle, toujours si maîtresse d’elle-même…mais pour une raison obscure, elle aurait volontiers étranglé ce rustre sur-le-champ.

Ce dernier la regarda, plus narquois que jamais.


_ « Et alors, mon garçon! Pourquoi attendre ? Vous brûlez apparemment d’en découdre avec moi, n’est-ce pas…et bien allons-y ! »

Oscar ne put réprimer un petit mouvement de surprise.

_ « Quoi ? Maintenant ? »

_ « Alors…ferait-on moins le brave lorsque l’on se retrouve au pied du mur, par hasard ? » susurra t-il, moqueur. « Vous êtes bien comme tous ces jeunes fanfarons, en paroles capables de tout mais jamais rien dans le ventre ! »

_ « Ah oui ? C’est ce qu’on va voir !!! »


N’en pouvant supporter davantage la jeune fille marcha littéralement sur l’inconnu, arme à la main. Il recula bien-sûr, mais continua d’afficher son insupportable demi-sourire pour la narguer sans même paraître nerveux le moins du monde.


Et c’était peut-être cela qui la mettait le plus en fureur. Jamais personne ne l’avait ainsi défiée, jamais avec cette calme et insupportable effronterie en tout cas.


Leur retour dans la salle de bal fut tonitruante, car accueillit par les cris épouvantés des danseurs qui s’écartèrent comme une volière prise de folie dès qu’ils aperçurent cette lame implacable. La pièce était construite en rotonde, aussi chacun se précipita courageusement à l’abri des colonnades pour suivre l’échauffourée malgré tout, tandis que l’orchestre éraillait un menuet de Lully avant de se voir déserté de tous ses musiciens, sans exception.


_  « Cet endroit vous sied-il, Monsieur ? » s’exclama farouchement Oscar lorsqu’ils furent au centre, usant du même ton moqueur que son vis-à-vis. « Je me doute que vous en faites habituellement tout autre usage, mais j’ai là une danse infiniment plus intéressante à vous enseigner ! » et elle se mit en garde.


Contre toute attente l’inconnu ne la suivit pas, il croisa nonchalamment les bras en se tournant vers l’assemblée.


_ « Mais regardez-moi ce jeune Matamore ! » rit-il, toujours incroyablement désinvolte. Puis reportant ses attentions sur elle. « Tout doux, tout doux mon bel ami ! Votre extrême courage est tout à votre honneur…surtout face un homme désarmé ! »


La rage de la jeune fille monta d’un cran lorsqu’elle s’aperçut qu’il disait vrai, détail qu’elle avait omis dans le feu de l’action ; rage attisée également par quelques rires fusant çà et là en écho à sa remarque.


_ « Moquez vous Monsieur, pendant qu’il en est encore temps, » gronda t-elle en rengainant son arme. « Puisqu’il n’y a moyen de faire autrement, j’attendrai donc demain pour vous apprendre les bonnes manières ! »


Elle le vit reprendre son insupportable sourire.


_ « Après les leçons de danse, les leçons de maintien à présent…Mmh, intéressant ! Et puis-je enfin connaître l’identité de mon insolent jeune professeur ? Ou bien souhaitez-vous rester à l’abri de ce masque pour préserver votre nom du déshonneur que je vous causerai demain en vous battant aisément !  »


C’en était trop ! Attaquer ainsi son nom et la traiter de couarde ? Oscar arracha sauvagement son masque et se dressa, fière, indomptable, superbe.


_ « Je suis Oscar, François de Jarjayes, Monsieur ! Capitaine de la Garde, pour vous servir ! »

_ « Et bien… » murmura l’inconnu en la dévisageant, moqueur. « Un militaire…j’aurais dû m’en douter. On m’avait dit que l’arrogance des soldats français n’avait d’égale que leur susceptibilité maladive ! Je vois qu’on ne m’avait pas trompé. J’ignorais simplement qu’ils les engageaient dès le berceau ! »

Entendant de nouveaux rires dans l’assistance, Oscar serra les mâchoire pour s’empêcher de lui casser immédiatement la figure. Elle le vit se redresser à son tour, pour lentement enlever le loup de velours noir.


_ « Comte Hans-Axel de Fersen ! Serviteur… » s’inclina t-il sans la quitter de son regard narquois.


Un murmure se fit entendre, non plus de raillerie mais essentiellement féminin celui-là.

Evidemment.

Elle avait deviné juste.

L’océan hostile des yeux d’Oscar submergea d’un coup la physionomie plus que séduisante, le nez droit aux narines passionnées dénotant une fierté aristocratique, ce mâle visage sauvé de la fade perfection par l’éclat incroyablement prenant du regard clair et de la bouche au tracé viril, pour l’heure infiniment moqueuse.

Avec une redoutable acuité Oscar le détesta dans la seconde.


Et le fusilla sur place de son mépris.

_ « Et bien Monsieur, à demain ! Et croyez bien que je me ferai un devoir de vous apprendre les bonnes manières, en effet ! Les militaires français sont peut-être susceptibles, mais sachez qu’en les insultant c’est le Roi de France que vous offensez à travers eux ! »

Le Comte de Fersen s’inclina de nouveau, nullement impressionné.

_ « J’en salive d’avance… » persifla t-il.
 

Le lendemain Oscar se réveilla dotée d’une humeur de lion : elle avait extraordinairement bien dormi en vérité, ayant toute la nuit massacré son ennemi pour finalement se baigner dans son sang avec une indicible volupté. Le rêve.


Elle prit donc sa charge d’excellente humeur, à peine contrariée de devoir se rendre aussitôt dans les bureaux du Chancelier Maupeou comme le lui signifia le soldat de garde. Après tout ce n’était qu’un petit contretemps sans importance, en pensée elle était déjà toute à ce duel et brûlante de mettre à exécution ses beaux projets nocturnes.


Elle marqua tout de même un léger temps de surprise, en découvrant l’absence du Chancelier au profit du Comte de Broglie.

Il était seul, et l’invita à prendre place.


_ « Capitaine, asseyez-vous je vous prie. Pardonnez ce petit subterfuge destiné à endormir d’éventuelles méfiances : on ne sait jamais vraiment si les couloirs royaux sont sûrs ces temps-ci, mieux vaut donc être prudent. » Le Comte se dirigea résolument vers une porte dissimulée dans les boiseries. « Capitaine, laissez-moi vous présenter sans attendre celui avec qui vous devrez mener à bien cette enquête ».


Oscar étouffa un petit sourire. Evidemment, elle comprenait mieux la raison de cette discrétion. Après l’attitude invraisemblable de son agent le Comte n’avait certes plus envie de s’attirer les foudres royales.


Mais ce petit sourire entendu s’effaça très vite, au moment précis où la porte s’ouvrait. D’un geste brusque elle se leva en manquant renverser sa chaise, tandis qu’un cri de rage unanime jaillissait de leur deux gorges, à cet inconnu et à elle :
 


_ « Quoi ! Lui ?!! »



préc.         suiv.

 

 

 

 


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