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 rozam blog

Chapitre 4.

3 Juillet 2012 , Rédigé par rozam

 

 

  LE MORCEAU DE SUCRE QUI AIDE LA MÉDECINE À COULER

 

 

 

Chapitre 4



- Mon cher André, vous êtes un génie !

C’était une évidence. Il était on ne peut plus d’accord. Absolument.

- Heu...à propos de quoi ?
On pouvait être génie et avoir quelques petites absences.

- Quels débuts encourageants, voilà qui me permet un nouvel optimisme !
- Ne pensez-vous pas l’être un peu...trop, docteur Lassonne ? Elle n’a après tout mangé que trois bouchées de fruits à la crème, ce n’est pas un exploit...
- Détrompez-vous mon garçon. Ce que vous avez entrepris l’est assurément.
- Si vous entendez par là que je suis toujours vivant, vous avez raison...soupira André d’un air sombre.
- Haha, allons mon garçon ! Du courage ! Plus que deux semaines à tenir !

Le jeune homme lui jeta un regard digne des suppliciés de l’Inquisition.

- P...pardon ?
- C’est le temps qu’il faudra pour qu’elle puisse se lever, si tout va bien.
- Et si tout ne va pas bien? Si...tout va très très mal, au contraire ? Vous voulez dire que je vais devoir subir ÇA durant près d’un mois ! cria un André transpirant d’angoisse. Dites-moi docteur : vous ne pourriez pas m’adopter et m’envoyer aux Amériques ?

Même tenue autour d’un sympathique verre de cidre, la conversation figea les sangs du vaillant et génial André. Deux semaines, autant se jeter tout de suite du haut d’une falaise ! Même si une idée sournoise l’avait mis en joie un moment plus tôt il n’était pas pressé du tout de retourner...là-bas.
Bien sûr sa manoeuvre était un succès éclatant : il pouvait encore marcher, lui. Mais très probable justement, qu’une Oscar lassée d’être à peu près docile ne lui arrache une main d’un coup de dent la prochaine fois.
Il exagérait à peine.

- Certes je dois tempérer mes enthousiasmes, j’en conviens...
- Ah, vous voyez bien, vous me cachez quelque chose !  C’est deux mois et pas deux semaines, n’est-ce pas ? s’alarma aussitôt André.
- Vous êtes impayable, mon cher ! Ce n’est pas un monstre tout de même.
- Très bien, je vous donne ma place si vous souhaitez !
- Aurais-je été plus jeune, avec grand plaisir...

Hum...était-ce bien un regard de courge que le docteur avait là ? C’est ainsi que le jeune homme nommait ces oeillades totalement grotesques surprises chez les petites domestiques, quand elles le dévisageaient; il en traînait beaucoup à sa suite depuis quelque temps.

Cela devait venir du temps de plus en plus chaud, l’été menaçait d’être rude.

- J’avais donc raison, ajouta malicieusement le docteur au bout de quelques secondes, le regard sans plus de trace d’aucun légume dedans.
- Heug...navré, je pensais à autre chose.
- Lorsque je vous disais que “notre” malade était la plus terrible qui fut, vous aviez du mal à me croire...
- Certes oui, je confesse ma faute. Envoyez-moi au couvent, alors.
- Hé, je ne suis pas loin de croire en votre sainteté si vous continuez ainsi ! Mais vous n’irez nulle part mon cher, pas tant que vous avez charge d’âme...


Il n’était pas une bête de somme, bon sang. Qu’avait-il à faire des charges et des âmes, celle d’Oscar méritait de...

André leva les yeux au ciel, un peu plus tard, le docteur enfin parti. Pas pour y guetter une quelconque auréole au-dessus de lui non, mais parce qu’il maugréait pour la forme.
Il s’en voulait beaucoup en vérité. De ne pas pouvoir prendre sa place, de ne rien faire si ce n’était mettre au point des stratagèmes faussement machiavéliques. Il était ridicule, avec ses frayeurs.
Ridicule tout court.
Bien sûr qu’elle était odieuse, Oscar l’était en permanence depuis quelques temps. Et pourtant quelque chose s’attendrissait toujours en lui quand il la regardait un peu trop, cela devenait un réflexe. La protéger d’elle-même, à coup de fraises à la crème et de saucisses ; voilà à quoi il en était réduit !
Foutu destin.
Même son idée l’était, ridicule. Avait-il d’autres choix ? Le jeune homme pressentait de sombres rouages déjà à l’oeuvre dans la jolie tête de son amie, qu’il devrait affronter avec une artillerie un peu plus lourde que du coulis de fruit.

André pressentait bien.


Il fut tout de même satisfait de constater l’évolution fracassante : cette fois, point de mains moites. Pas de méfiance intempestive. Juste des résolutions vagues, quelques volontés molles, et beaucoup, beaucoup d’assurance. Le même état d’esprit que lorsqu’il partait à la chasse aux félons en compagnie d’Oscar, ce qui ne lui était d’aucune utilité en fait.
Autre nouveauté, on ne l’accueillit pas d’un “je n’ai pas faim” hargneux ni de coup d’oeil assassin. Dans cette chambre, au moins, personne ne pratiquait le regard légumineux...

Pas de hargne, donc, ce qui n’était pas des plus réconfortants. A la place un rien de curiosité...Enfin pour être tout à fait honnête, c’est le plateau qu’Oscar observait de façon dubitative; comme si le danger pouvait venir des merveilles qu’il apportait...

Etrangement, cette façon de le rayer des adversaires potentiels l’agaça. Il était déjà beaucoup de choses ici, le classer d’office comme le simple porteur des plateaux non seulement le vexait, mais attisait l’idée stupide de derrière ses scrupules. Une louche de crème sur pomme sublime, et hop, on ne le voit plus ! Ingrate !
Dieu savait qu’il lui en coûtait, de jouer les souffres-malades, alors pas question de laisser s’endormir le volcan Oscar sans quelques petites semonces supplémentaires. Il serait bien temps de courir loin quand elle remarcherait. Il était en position de force, que diable : il tenait l’os du bon côté. Le tout étant de retirer ses fourberies avant qu’elle ne s’aiguise trop les dents.
Décidément, il était un génie.



****

Elle avait dormi, sans presque souffrir.
Cela n’avait duré que dix minutes, un assoupissement auraient dit certains, mais elle, Oscar, sentait qu’elle avait réellement dormi juste après ce maudit festin.
Lui apportant un réconfort notable, avant que sa jambe ne reprenne les hostilités sans lui demander son avis et ne lui arrache des larmes de frustration.
Domptée par cette chair inerte, quelle infamie !
Un peu grisée toujours par le goût suave des pêches encore présent sur sa langue, Oscar se surprit à ne pas hurler. Elle était révoltée, écoeurée, exsangue et prête à réduire en miettes ce lit qui la portait, mais en silence.
Finalement, les pêches étaient des être pires que les gens charitables: c’est elles qui vous transformaient en quelque chose de spongieux, sans qu’on y prenne garde.

Si André apportait encore des pêches, elle lui coincerait la coupelle à travers les dents.

Dix minutes de répit, et presque un siècle d’ennui, seule. André, justement ! Elle le haïssait plus que les fruits, avec ses nouvelles mines bravaches. Non mais pour qui se prenait-il, était-il le maître qu’il s’octroyait le droit de donner SA nourriture aux chiens ? Depuis son sommeil, Oscar se sentait des envies de meurtre envers quiconque attaquerait SON plateau: par les moustaches de ses ancêtres, elle était encore redoutable !
Et bien sûr qu’elle avait faim, encore, encore, où donc étaient-ils tous à la laisser croupir dans ses rancoeurs ! Misérables ! Dès le petit orteil posé, elle allait entreprendre une sérieuse réforme ici.
Plus de fruits. Plus de chiens. Rien que des gens silencieux à SON service.
Elle avait chaud.

Quand elle entendit le loquet de sa porte, un petit sursaut satisfait la dressa immédiatement.
Ah, tout de même...
Une étourdissante odeur de gratin rehaussé d’une pointe de muscade lui chatouilla le nez, vaillamment relayé par le fumet viril de pleurotes au persil. Et quand André s’assit non loin d’elle, une salade sanglotant de fraicheur la fit involontairement saliver d’anticipation;
hum...qu’on ne s’avise point de lui parler de donner de tels délices, de lui parler tout court d’ailleurs et...QUOI ? DEUX ASSIETTES ?

Oscar cligna des yeux, déglutit une rage absente, la faim occultant un tout petit peut tout. Mais...

- On devrait tuer les vieilles gens ! grogna André sans préambule, toujours aussi plein de morgue et de dextérité.
En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire il s’invitait, là, sur son lit, distribuant les parts pour elle et...LUI ?
- Grand-Mère s’est toquée d’aller prier pour toi, comme ça, sans crier gare, me laissant tout préparer sans même le temps de reprendre mon souffle ni d’avaler la moindre miette. Debout à l’aube, corvéable à merci, affamé, ha vraiment ! Les vieilles gens sont d’un égoïsme sans borne de nos jours...

Il se servait, LUI ! L’oeil résolu et les manches de chemise roulées sur l’avant-bras, comme sortant de quelque travail de force et impudent d’assurance. MAIS, HO !!
Avec stupeur, Oscar réalisa qu’elle hurlait...dans sa tête. Muselée par un gratin et des champignons, honte, hontae, hontatum !

Et ce n’était tout de même pas un simple gratin et de vulgaires champignons, il fallait bien l’admettre. Toujours servis dans une vaisselle d’un raffinement de conte oub, les mets paraissaient si fiers d’eux mêmes qu’ils en resplendissaient de moelleux. La cuillère d’André cueillit un miracle de lamelles de pommes de terre si fines, si crémeuses dans leur lit de fromage blond, que l’assiette elle-même parut s’animer d’une vie propre pour mettre en scène ses appétissants participants. Les pleurotes rejoignirent la cohorte fondante, la salade applaudissant de toutes ses tendres feuilles.
Fondre ? Il s’agissait exactement de cela.
Toute la hargne du monde ne pouvait suffire face à pareille représentation. Et celle d’Oscar disparaissait résolument, malgré toute ses vaillances...même son estomac la trahit en grognant ses besoins bestiaux. Foutrecul...quelqu’un paierait pour tout cela, mais plus tard. Une fourchette fumante, mise devant sa bouche, quémandait un hommage légitime.

- Et plus de bois, évidemment ! continuait de maugréer André, l’air de rien, captant une bouchée pour lui tandis qu’elle mâchait son extase. Je dois vraiment m’occuper de tout : Grand-Mère partie, le jardinier Dieu sait où, les domestiques prenant leurs aises...tu as intérêt à reprendre rapidement des forces, c’est un fait qu’ici tout va de travers sans toi.

Un sursaut d’orgueil la contracta légèrement. Evidemment, elle était si douée pour le commandement ! Et tiens, d’ailleurs, pourquoi tarder...

- Je peux très bien me débrouiller toute seule, râla Oscar, une nouvelle fournée de délicatesse devant la bouche.
- Oh, très bien, répliqua le jeune homme posant l’ustensile avec un rien d’humeur, voilà qui est fait pour m’arranger. J’ai vraiment une faim de loup ce soir.


HO, MAIS !!! Oui allez, tant pis pour la grogne. Il s’agissait d’avoir les moyens de ses ambitions, maintenant. Un mouvement, et sa jambe se rappela à son bon souvenir.

- Ça va ! ragea t-elle en repoussant l’élan de compassion écoeurante. Etouffe-toi de nourriture et laisse-moi tranquille !
- Avec plaisir, grimaça effrontément André. J’avais seulement peur pour le drap. Pas envie de jouer les lingères, en plus.
- Crève.
- Toi aussi, bon appétit...soupira t-il d’exaspération.

Elle reprit la fourchette, et au prix de grande transpiration la porta à ses lèvres. Comment une blessure de taverne pouvait vous rendre si faible ? Les tonneaux étaient peut-être à ranger dans la même catégorie que les fruits.
Durant les secondes suivantes, une langueur de muscade et de fromage parfumé, d’herbes, de poigne, d’énergies douces...
Jamais elle n’avait mesuré la saveur que pouvait avoir une simple bouchée. A la troisième, sa main ne tremblait presque plus. La quatrième fut presque parfaite. Quand à la cinquième...

La main d’Oscar n’eut pas la force de se suspendre en vol. Une amorce seulement. La bouche de la jeune fille ne s’ouvrit que sur le vide devant l’improbable spectacle, pas du tout culinaire.
 

Spectacle précédé d’un énorme juron pour être exact : André venait de se renverser toute une lampée de gratin sur la chemise, preuve apparemment d’une adresse remarquable.
Geste qui en principe vous déclenche un fou-rire de tous les diables menaçant d’emporter le peu de fierté qui reste chez votre interlocuteur. En principe.

Avec une certaine stupeur, Oscar regarda son ami dénouer le lien de son col et en écarter largement les pans, fulminant contre ces bouts de nourriture si peu disciplinés qui s’étaient répandus partout. 
Il fallait rire. C’était le moment.
Et rien du tout, le silence, comme tout à l’heure sous la fureur.

Depuis quand avait-il toute cette peau sur lui ? Ça se tendait souplement sous les gestes agacés; et c’était comme un pain chaud sorti du four, en contraste avec la blancheur du tissu. C’était ÇA, André?

Pétrie d’un incompréhensible sentiment de malaise elle sursauta, littéralement, quand il releva la tête. Hautement contrariée qu’il puisse la surprendre dans une contemplation incongrue, Oscar voulut trop obtenir de ses maigres capacités : elle assura sa prise sur la fourchette sans réfléchir, dérapa dans son geste, ce qui fut fatal pour l’équilibre de l’ensemble.
Tel un château de cartes le lit parut s’effondrer sous les maladresses communes. André voulut rattraper l’assiette de la jeune fille, et les pleurotes décidèrent que non, décidément, c’était plus drôle de partir à l’aventure chacune de leur côté. La sauce vint avec, et le reste du gratin et de la salade vexés de rester à la traîne, décidèrent presque aussitôt de suivre le reste de l’équipe.

Ce fut la chemise encore intacte d’Oscar qui reçut tout ce joli petit monde, cette fois son cri fut on ne peut moins silencieux.

- SORS D’ICI !!! hurla un capitaine de Jarjayes presque revenu à l’anormal, gesticulant sous les excuses du jeune homme et bien d’autres choses.
- Mais j...
- JE VAIS TE LES FAIRE AVALER, MOI, CES CHAMPIGNONS ! RETIRE TES MAINS !!!
- Mais j...
- DEHORS !!!!!!



****

Triomphe.

Et merde.
André s’adossa au mur de sa chambre close. Tout s’était exactement passé comme il le souhaitait, et il se sentait furieux. Piètre stratège si il n’arrivait à assumer les conséquences de sa manoeuvre...bel idiot, oui ! Gâcher toute cette nourriture le contrariait déjà hautement mais ce n’était pas cela, le pire.

Tout s’était passé trop vite.
Sacrifier la juste quantité sur sa chemise, voilà qui avait été habile. Parfait. Le triomphe était là : la faire rire, la faire réagir à tout le moins sous une situation grotesque; la mettre mal à l’aise à la rigueur, tout cela il l’avait obtenu ! Seulement...il y avait eu autre chose dans les yeux battus de son amie : Oscar avait eut un regard...de courge. Elle ! Et d’un coup il avait perdu ses moyens, consommant la débâcle jusqu’à la lie. Et puis...

Il étouffa sous une nouvelle bouffée de rage. Sortir de cette geôle, vite ! L’air très doux du parc ne lui procura aucun réconfort, il s’en doutait. Là au moins le ciel était assez vaste pour accueillir ses contrariétés. Ah ça, elle avait réagi...beau succès.

- Mais quel imbécile ! jeta t-il aux frondaisons qui se balançaient placidement.

Et tout ça pour quelques bouts de pommes de terre...André regarda une nouvelle fois sa paume qui, elle, refusait d’oublier. La douceur fugace de quelque chose d’éminemment féminin. Quelque chose de tendre, de doux, d’obscurément excitant.
Il le connaissait bien, ce Capitaine, il en connaissait le secret.

Nouveau juron.

Consterné, André réalisait seulement qu’elle était bel et bien devenue une femme.

 

 

 

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A
Un chapitre tout en subtilité...miam il est craquant ton André @°_°@ J'ai vu que tu as mis les autres chapitres, j'y cours !!!!
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R
<br /> <br /> Oui je suis "dans le coin" durant ces jours-ci, je fini la fic très bientôt ! Merci Aramis pour ta/tes lecture<br /> <br /> <br /> <br />
A
Alors, moi, je dis... Ça valait le coup d'attendre ! Tes délires salés n'ont rien à envier aux précédents !<br /> <br /> Bon, c'est décidé, tu viens faire la cuisine à la maison !
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R
<br /> <br /> Arf, attention,  je vais m'inviter vraiment ;) La "faim", pardon la fin est pour bientôt en tout cas ! Bizzzzz<br /> <br /> <br /> <br />
A
André désespère et le Doc ne semble pas voir toute la difficulté à s'occuper d'Oscar XD<br /> <br /> Toute cette nourriture, ça me donne faim ^^<br /> Pour une fois, elle ne bronche pas et reste silencieuse jusqu'à une petite gourde qui change la donne ^^<br /> <br /> Courage André, t'as quand même réussit à nous la mettre mal à l'aise la petite ;)
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R
<br /> <br /> Merci ma belle Aurore, tu as raison il faut soutenir André et ses louables efforts, ça va payer oui tu vas voir ;) !!<br /> <br /> <br /> <br />
D
je vais faire du gratin ce soir lol !<br /> aaaaaaah rozam, rozam !! On sent qu'il va se passer quelque chose bientôt xD, la suiiiiiiiiiteeeeee !!!! tes chapitres sont trop drôles j'adore
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R
<br /> <br /> Merci Desdémone, je vais tenter de te passer de nouvelles recettes ! Et la suiiiiiite est là ! Et la fiiiiin bientôt<br /> aussi ;) Bizz<br /> <br /> <br /> <br />